Andrea Japp est un auteur prolixe et inspiré de nombreux romans policiers. Ses récits, aussi bien contemporains – série Diane Silver – qu'historiques – série Druon de Brévaux – sont tous disponibles chez de grands éditeurs tels que Le Masque, Calmann-Lévy et Flammarion. Et lorsqu'elle n'écrit pas, elle traduit les polars de Patricia Cornwell mettant en scène la célèbre Kay Scarpetta. On lui doit aussi des scénarios de téléfilms et de BD.
Auteur connu et reconnu, donc, Andrea Japp a cependant tenté dernièrement l'expérience de la publication indépendante et s'en explique.
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Vous êtes l’auteur
d’un grand nombre de romans publiés chez des éditeurs traditionnels, qui
remportent le succès que l’on connaît. Cependant, vous avez récemment publié un
recueil de nouvelles en auteur indépendant, Entre
sourires et larmes. Qu’est-ce qui vous a conduite à cette démarche ?
D’abord, la curiosité. Des copains auteurs avaient sauté le pas et m’ont
encouragée à les imiter. J’ai traîné, songeant que j’allais faire un essai
« quand j’aurais un moment ». Puis est arrivée la loi sur les
indisponibles1, et j’avoue que j’ai été très agacée par ses
conditions. Autant je la jugerais bénéfique en version opt-in2,
autant sous la forme adoptée elle m’a paru abusive. Seul un auteur (ou ses
ayants droit) est à même de décider si l’un de ses anciens titres doit être
réédité en numérique. D’ailleurs, les maisons d’édition ont proposé des
avenants à leurs auteurs pour le passage en numérique de textes déjà anciens,
l’auteur étant alors libre de refuser. C’est de cette façon que les choses doivent
se dérouler. Face à cette loi, la publication indépendante m’a alors semblé la
solution idéale pour que certains de mes textes, qui ne sont plus
commercialisés sous forme papier, ne tombent pas dans la catégorie
« indisponible ». En réalité, ce fut une rébellion de ma part.
Je suis également partie d’une conviction : le livre papier ne
disparaîtra pas et c’est heureux. Il génère un attachement très sentimental,
physique, presque sensuel. On veut le voir dans une bibliothèque. On veut
constater, à l’usure de sa tranche, à quel point on l’a aimé et lu. En
revanche, le numérique est appelé à un énorme succès. Ca ne prend pas de place,
ça se transporte facilement et (dans mon cas) autant il peut s’avérer difficile
de jeter un livre-papier, même mauvais, autant l’effacer est aisé. En plus,
c’est moins cher.
L’expérience était donc très tentante !
1 Cette loi a été
adoptée par l’Assemblée nationale, dans la nuit du 22 au 23 février 2012, mais
n’est toujours pas appliquée, car elle est tout simplement anticonstitutionnelle.
En résumé, elle autorise la numérisation d’œuvres classées indisponibles
(c’est-à-dire qui ont cessé d’être commercialisées par les éditeurs), en vue
d’une nouvelle exploitation commerciale sous la forme de livres électroniques,
et ce sans en demander l’autorisation aux auteurs ou à leurs ayants droit. Pour
plus d’informations, vous pouvez consulter le texte de loi tel
qu'adopté. Et voici deux articles très clairs parus dans ActuaLitté : Numérisation
des œuvres indisponibles : auteurs spoliés, droit bafoué…" et "Œuvres
indisponibles : pourquoi la loi ne passera jamais".
2 Dans la version opt-in, les auteurs et les ayants
droit disent s’ils sont d’accord ou non pour que l’on procède à la numérisation
de leurs œuvres. S’ils n’effectuent pas cette demande, les œuvres ne sont pas
numérisées. Dans la version opt-out (la version adoptée, bien sûr !), les
œuvres sont numérisées, et les auteurs et ayants droit disposent d’un certain
délai pour exprimer leur désaccord. Ce qui implique pour eux d’être informés
que leurs œuvres ont été numérisées. En gros, c’est à eux d’être vigilants.
Quels avantages
voyez-vous à publier ses livres de façon indépendante, comparativement à une
publication par un éditeur traditionnel ?
Dans mon cas, pouvoir rééditer un texte qui n’est plus exploité, en le
réécrivant.
Plus généralement et pour des auteurs qui peinent à se faire éditer par
des éditeurs traditionnels, c’est aussi sans doute le meilleur moyen de proposer
leurs textes aux lecteurs.
Quels sont les
inconvénients ?
Selon moi, l’édition indépendante, numérique, c’est-à-dire n’exigeant
pas de mise de fonds importante, aura les défauts de sa principale qualité – la
liberté de publier. On risque un afflux de mises en ligne de textes inintéressants
(et il y en a) ou de textes qui n’auront pas été convenablement édités. Les
lecteurs de livres numériques indépendants se plaignent déjà des fautes de
français ou d’orthographe, voire des couacs de construction, même lorsque le
texte est de qualité. De fait, une œuvre de fiction n’est pas seulement un
imaginaire, une histoire, des personnages, c’est également de la technique. Il
ne faudrait donc pas que le lecteur se décourage et finisse par ne sélectionner
que les auteurs qu’il connaît. On parviendrait alors à l’inverse du résultat
espéré.
Avez-vous rencontré
des difficultés particulières, d’ordre technique ou autre ? Que
pensez-vous des différentes plates-formes des librairies en ligne ?
Non, j’ai même été sidérée par la simplicité du procédé. Cela étant, je
ne connais que le KDP d’Amazon et ne puis donc pas juger des autres
plates-formes. Dans mon cas, l’expérience a été très concluante, de bout en
bout, et j’en garde un excellent souvenir.
Avez-vous une idée
du regard que portent les professionnels du livre – éditeurs, auteurs,
libraires, critiques, journalistes – sur les
auteurs indépendants ? Et les lecteurs, qu’en pensent-ils ?Je ne peux répondre qu’en me fondant sur ma petite expérience.
Les auteurs que je connais ont, le plus souvent, à peu près mon âge, ne
sont pas tous à l’aise avec un ordinateur (loin s’en faut). Ils s’imaginent, à
tort, que mettre un texte en ligne exige une licence d’informatique. Témoin,
cette amie qui venait de se faire refuser pour la quatrième fois un texte et qui
m’a rétorqué : « Mais je ne sais même pas ce qu’est un pdf. »
Les lecteurs que je rencontre, lors des salons par exemple, sont très
intéressés, mais un peu inquiets, pour les raisons que j’évoquais. S’agissant
de lecteurs de polars, donc de très gros lecteurs en général, l’aspect du prix
est bien sûr un atout considérable à leurs yeux. Cela étant, on sent de leur
part une hésitation, sur le mode : « Mais comment savoir si c’est un
bon roman, bien écrit ? » C’est là que les journalistes et les
critiques ont un rôle considérable à jouer.
Bon, c’est une interprétation très personnelle, mais je ne pense pas du
tout que les éditeurs traditionnels voient d’un mauvais œil les auteurs
indépendants. Une maison d’édition est aussi pragmatique. Après tout, si un
auteur indépendant connaît un succès fulgurant, et cela s’est vu, l’éditeur
peut faire une proposition derrière. Les liens auteurs-éditeurs ont changé,
avec le monde. Les « mariages à vie » entre un auteur et son éditeur
existent de moins en moins. « Récupérer » un auteur ou au contraire
le voir partir est devenu assez banal pour un éditeur. Au fond, les auteurs
indépendants sont une sorte de vivier de talents potentiels, et je suis bien
certaine que les éditeurs en sont conscients.
À votre avis, de
quelle manière le courant indépendant, en littérature, pourra-t-il gagner ses
lettres de noblesse ?
En livrant de bons textes aux lecteurs, quoi d’autre ? Étant
moi-même grosse lectrice, je passe sur un mauvais film, un mauvais restaurant.
En revanche, je suis vraiment déçue, parfois furieuse, lorsque je tombe sur un
mauvais roman ou, pire, un roman bâclé.
Comment voyez-vous
l’évolution de ce mode de publication ?
J’espère véritablement qu’il donnera leur chance à des auteurs qui n’ont
pas trouvé d’éditeur traditionnel. Il existe d’excellents textes, atypiques,
qui ne trouvent pas toujours d’éditeurs. Pour le reste, j’en suis au stade du point d’interrogation. Je
peux, bien sûr, me tromper, mais selon moi l’alternative est simple : ou
l’on va vers un grand bordel, avec une multitude de textes de qualité très
variable, dont certains décevront et rendront les lecteurs méfiants vis-à-vis
des indépendants qu’ils n’ont jamais lus, ou les auteurs deviennent éditeur de leurs
ouvrages. Il s’agit d’un véritable métier, qui apporte énormément à un livre.
Cela suggère un regard objectif et critique sur son propre travail – « l’œil »
de l’éditeur traditionnel – et ce n’est pas simple. Cela suggère également
derrière une « machine » qui, dans une maison d’édition
traditionnelle, va de la préparation de copie aux corrections orthographique et
typographique, en passant par la couverture et la mise en page, et bien sûr,
très important, par la promotion. Au fond, il faudrait que se créent (mais peut-être
est-ce déjà le cas) des sortes de bureaux de préparateurs et de correcteurs
pour les auteurs indépendants.
Pouvez-vous nous
présenter Entre sourires et larmes ?
Entre sourires et larmes était donc une
expérience pour moi. Mes titres sont maintenant proposés en numérique par mes
éditeurs, mais je n’avais jamais mis « la main à la pâte » en la
matière.
Concernant le recueil : il s’agit de nouvelles, souvent polar,
parfois un peu fantastiques, entre humour noir et noir tout court. Deux d’entre
elles étaient parues chez un tout petit éditeur, qui a disparu il y a bien
longtemps de cela. J’ai donc complètement réécrit ces deux nouvelles en en
créant d’autres. Ce sont des instantanés d’humanité, parfois terriblement
attachante, parfois exaspérante, voire meurtrière.
Quels sont vos
projets littéraires ? Publierez-vous votre prochain livre en auteur
indépendant ? Si non reviendrez-vous à ce mode de publication ?
Mon prochain roman, « In
anima vili », clôt la série des Mystères
de Druon de Brévaux. Il sortira en mai 2013. En octobre sortira le 3e
volume des Enquêtes de M. de Mortagne,
bourreau. J’attaque ensuite un projet qui m’occupe l’esprit depuis deux
ans, avec un retour au thriller très contemporain. Le tout chez Flammarion.
Ah oui, je vais récidiver ! Je n’éprouve aucune angoisse ou animosité
envers les ordinateurs ! Cette année, je compte mettre en ligne deux
textes réécrits. Ma vision a changé. De surcroît, lorsque comme moi on
développe aussi une veine « polar scientifique », il est ahurissant
de rééditer des textes dépassés parce que la science et la technologie ont tant
évolué en dix ans. Il n’y avait pas de téléphone portable, ou très peu, à
l’époque où je les ai conçus, c’est dire ! Il s’agit, pour moi, du
véritable privilège de cette forme d’édition. Mais je songe aussi à une veine
« young adults », comme on dit dans l’édition, à cheval entre la
science-fiction et le polar.
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C'est fou ce qu'on peut apprendre en lisant un des romans (historiques) d'Andréa Japp. Merci encore
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