Avant tout, il faut raconter l’histoire
de ce livre, car il s’agit d’une belle histoire ; non pas raconter
l’histoire que raconte ce livre (qui est également une belle histoire, nous y reviendrons),
mais le parcours du texte, son aventure, son itinéraire, son combat, pour
arriver sous les yeux des lecteurs. Et pour y rester.
Les
Avenirs est le premier roman de Hafid Aggoune. Publié en 2004 par
les éditions Farrago, il a reçu le prix de l’Armitière cette même année et le
prix Fénéon en 2005. Puis l’éditeur a cessé son activité en 2006, et le livre
est devenu indisponible en version brochée.
L’auteur a récupéré ses droits
numériques et les a confiés à StoryLab, en 2013, qui peut ainsi sauver ce roman
de l’oubli et en proposer une version corrigée ainsi qu’enrichie d’un entretien
filmé de Hafid Aggoune. Celui-ci y explique fort justement que le support de
lecture importe moins que le contenu lui-même et que seule compte la diffusion
et la (sur)vie des œuvres.
Voilà comment une pépite littéraire
trouve une seconde vie grâce au numérique.
L’histoire pourrait s’arrêter là, et ce
ne serait déjà pas si mal. Mais l’ironie du sort en a voulu autrement. Car ce
texte qui connaît aujourd’hui une renaissance parle d’un homme… qui connaît une
renaissance. Il semblerait que les dieux farceurs de la littérature se soient
penchés sur le berceau de Hafid Aggoune.
Dans ce récit, Pierre, 76 ans, revient
d’une longue absence au monde et à lui-même, il se réveille d’un long sommeil
qu’il a entamé un jour d’automne 1942, alors qu’il était âgé de 17 ans. Durant plus
d’un demi-siècle, il est resté en léthargie, « dans un asile perché comme
un enfer à flanc de falaise », sur l’île de Luz, face à la mer.
Ce qui a provoqué en lui l’électrochoc
salvateur, nous le savons d’emblée, c’est le suicide d’un pensionnaire de
l’établissement psychiatrique ; un peintre du vide, créant sans pinceau ni
couleurs sur une toile imaginaire, bougeant sa main et son bras dans l’air, et
que Pierre a regardé peindre sur le vent, jour après jour, au cours de toutes
ces années. La mort de cet homme fait prendre conscience au narrateur que lui
est en vie, finalement, contre toute attente.
Si nous comprenons dès le début ce qui
a réveillé Pierre, nous découvrons progressivement ce qui l’a endormi. Les
éléments reviennent par bribes, par vagues, tel le ressac que les pensionnaires
entendent dès qu’ils déambulent dans les jardins de l’hôpital.
L’auteur procède par petites touches,
comme un peintre pointilleux qui dose ses contrastes et ses effets. Mais peu à
peu l’esquisse prend forme, les motifs se précisent et complètent le sujet, du
déracinement de Pierre, jeune enfant de 3 ans arraché à sa mère en France et
confié à sa grand-mère en Algérie, à la rencontre avec Margot, jeune fille
juive de 17 ans, artiste peintre elle aussi. Et auteur, entre autres, d’une
toile intitulée Les Avenirs. Mais
est-il possible pour un jeune garçon d’aimer une jeune fille juive dans le
Paris de l’Occupation ?
Quelle que soit la réponse, quelle que
soit la noirceur du tableau, quel que soit le temps que ça prenne, Hafid
Aggoune nous montre avec talent et poésie que, d’une manière ou d’une autre, la
vie reprend toujours ses droits. Il affirme que le passé ne s’oublie jamais,
qu’il est comme une langue maternelle, et que nos souvenirs fondateurs
finissent par nous revenir comme autant de mots primordiaux et essentiels qu’on
croyait perdus. Il affirme enfin, dans un message d’espoir, que ce passé, une
fois apprivoisé, est la clé de nos avenirs.
(Article publié dans La Cause littéraire, le 2 juillet 2013.)
Les Avenirs, Hafid Aggoune, Éditions StoryLab,
2013, 5,99 €.