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28 mars 2015

Retour sur le Salon du livre 2015 [1] : Pas d'auteurs, pas de livres



Première historique chez les auteurs
Le 22 octobre 2014, j'ai eu le plaisir de participer à une table ronde, à la Société des gens de lettres (SGDL), dans le cadre de deux journées de débats ayant pour thème générique « La rémunération des auteurs ». Lors de son discours de clôture, Vincent Monadé (président du Comité national du livre) a exhorté les auteurs à s'unir pour prendre leur situation en main et l'améliorer. Il est vrai que, d'une manière générale, nous n'avons pas l'habitude de nous fédérer.
Mais voilà, trop c'est trop. Et nous avons assisté à un événement historique, le 23 mars 2015. Pour la première fois, au Salon du livre de Paris, derrière le Conseil permanent des écrivains (CPE), dont la SGDL fait partie, les auteurs ont marché d'un même pas pour se faire entendre d'une même voix.
Dans le plus grand respect des visiteurs et des exposants, et en scandant des « pas d'auteurs, pas de livres », à qui voulait bien entendre, plusieurs centaines d'entre nous  avons sillonné les allées jusqu'à la Scène des auteurs, où nous avons pu nous exprimer, à travers le discours que Valentine Goby, présidente du CPE, a lu.

Les raisons de la colère
On manifeste rarement par plaisir. Quand on en est là, c'est qu'on y a été acculé. Alors qu'est-ce qui a  poussé des gens d'ordinaire timides et posés à sortir de leur réserve de manière aussi spectaculaire ?
Réponse : les conditions inacceptables dans lesquelles nous travaillons. Le (vilain) mot est lâché. L'écriture est un travail. Régi par un contrat du même nom, donc, mais qui s'appelle, parce que ça fait plus chic, contrat d'auteur. Que dit-il, ce contrat, qui nous mette à ce point en colère ?
1/ Que nous devons céder nos droits à vie et même au-delà : 70 ans après notre mort.
2/ Qu'en échange de ce dépouillement de nos droits d'auteur, nous percevons royalement, en  moyenne, 5 % par livre vendu (calculés sur le prix hors taxe), c'est-à-dire environ 1 €. 
3/ Que nous percevons ces droits d'auteur une fois par an.
4/ Qu'en attendant nous percevons des à-valoir, 3 000 € en moyenne, aujourd'hui. Donc pas de quoi tenir le coup bien longtemps. Là encore, en ce qui me concerne, je suis un peu mieux loti.
5/ Que la plupart d'entre nous, en corollaire, sommes obligés d'exercer un autre métier pour joindre les deux bouts. A-t-on déjà vu un comédien employé de banque, par exemple ? Eh bien, je connais des auteurs employés de banque ou manutentionnaires. Pratique de se consacrer à son art dans de telles conditions, n'est-ce pas ? Il n'existe pas de statut d'intermittent pour les auteurs.
6/ Que nous percevons les mêmes pourcentages sur les livres numériques (donc encore moins de 1 € par livre), dont les prix sont inférieurs à ceux des livres papier mais dont la fabrication coûte beaucoup, beaucoup moins cher.
7/ Que nous cédons nos droits d'adaptation audiovisuelle. Là, il peut se produire tout et n'importe quoi. Un éditeur m'a proposé 30 % (70 % pour lui), si mon livre était adapté. j'ai refusé, pour finalement accepter à 50-50.

Les auteurs, en danger grandissant, se font entendre au Salon du livre de Paris 2015.
Photo : © Laurence Houot/Culturebox/France Télévisions

S'ajoute à cela, la décision irréfléchie et irresponsable de Bruxelles de vouloir passer la TVA sur le livre numérique de 5,5 % à 20 %, tuant définitivement dans l'œuf ce support de lecture qui peine déjà suffisamment à susciter l'engouement qu'il mérite en France. Nous n'en serions probablement pas là si les éditeurs français les plus influents, ceux-là même qui crient au scandale à présent devant la décision de Bruxelles, avaient mieux défendu le numérique au lieu de le vouer superstitieusement aux Gémonies, et s'ils l'avaient réellement promu.
Pour clouer le cercueil, la réforme du Raap (le régime de retraite complémentaire des artistes auteurs) envisage de passer d'une cotisation de classe à une cotisation de 8 %  pour tout le monde, ce qui n'est simplement pas tenable… pour tout le monde.

Les lecteurs
Beaucoup de visiteurs du Salon ont été surpris, choqués, voire scandalisés par notre démarche, et aucun, sur l'instant, n'a repris le slogan avec nous. Beaucoup ont même condamné notre action. Dans l'esprit du grand public, un artiste, un créateur, un auteur n'est pas un travailleur. Il n'a pas besoin d'argent, son art seul le nourrit, et il devrait déjà s'estimer heureux d'être un artiste. Il reste donc encore beaucoup de pédagogie à faire, en la matière, et le temps du rapprochement avec l'autre maillon essentiel de la chaîne du livre – le lecteur – est peut-être venu.
Dans l'après-midi de ce 23 mars 2015 ainsi que dans les deux jours qui ont suivi, puis ensuite sur les réseaux sociaux dans lesquels j'ai posté, beaucoup de lecteurs m'ont demandé ce qui s'était passé et ont adhéré ou ont liké, après que je leur ai exposé la situation. Les lecteurs sont nos premier alliés si nous leur parlons.

Pour apporter votre soutien
Cette marche des auteurs a été précédée par la mise à disposition d'une lettre ouverte « à tous ceux qui oublient qu'il faut des auteurs pour faire des livres ». Plus de 1 800 auteurs l'ont déjà signée à l'heure où j'écris ces lignes. D'autres, que nous avons croisés sur notre parcours et qui étaient en signature sur les stands de leur maison d'édition, nous ont dit qu'il la signeraient au plus tôt.
Je vous invite à la signer à votre tour, tant que le lien est encore actif. Vous avez simplement à mentionner « auteur, je signe » à l'adresse suivante :

Les auteurs et les lecteurs sont les maillons essentiels de la chaîne du livre. Salon du livre de Paris 2015.