On pourrait croire que les
skinheads sont des gros footeux de base, hooligans, fachos et décérébrés,
bercés à l’ultraviolence, nourris à la haine raciale et abreuvés au jus de
houblon. Faux, affirme John King dans son sublime roman « Skinheads ».
John King, c’est un peu le Zola de la classe ouvrière britannique. Il nous
livre là une chronique poignante et toute en finesse, dans laquelle trois
hommes, issus de trois générations, représentent chacun un aspect différent de
cette subculture, tout en s’acharnant à en perpétrer pareillement la tradition
et les valeurs. Et contre toute attente, celles-ci gravitent davantage dans le
bourge pépère que dans le nihilisme décadent. Terry, le père, 50 ans, dirige
son entreprise de minicabs et réhabilite un pub, l’Union Jack Club. Il ne se
remet pas de la mort de sa femme, il y a déjà 10 ans, reste aveugle et sourd
aux gestes d’amour de sa superbe secrétaire et se bat contre un cancer qui
menace de l’emporter d’ici peu. Il ne se bat pas pour lui, mais pour ses
gosses, qu’il trouve injuste de laisser orphelins. Son fils, Lol, tente de
trouver sa place dans la vie et dans sa peau d’ado tout en marchant dans les
traces de son père (et les Doc Martens, ça laisse des empreintes énormes). Ray,
le neveu, pète un câble quand des dealers vendent de l’ecsta à sa fille, à la
sortie du collège. Vous me direz, ça ne fait pas une histoire. Si. Et une qui
vous prend aux tripes, encore. L’histoire du temps qui passe, des rêves
inaccomplis, des idéaux piétinés, des types qui essaient de s’en sortir avec ce
qu’ils ont et qu’on fait passer pour ce qu’ils ne sont pas. L’histoire d’hommes
durs mais attachants. Écrite dans un style éblouissant de justesse et de
simplicité, qui va droit au cœur et qui continue de vous le pincer, une fois le
livre refermé.
(Article paru dans Service littéraire en juillet 2012.)