Loin de la soupe fadasse et réchauffée qu’on nous sert à
chaque rentrée littéreuse et pour tout l’automne, les éditions Lunatique
proposent toujours, toutes saisons confondues, des choses qui tiennent au
corps, de vrais beaux livres avec de vrais beaux morceaux de littérature
dedans. Chez eux, les lignes (éditoriales) bougent. Denis Tellier en est le
parfait exemple, qui nous émeut et nous remue dans tous les sens grâce à
l’histoire d’Adrien, pauvre type des Ardennes, revenu de 14-18 la tête à
l’envers, prisonnier à jamais de ses souvenirs et transformé en idiot du
village. Un village dans lequel chacun s’est embarqué pour un long voyage au
bout de l’ennui, dans lequel on tue le temps comme on peut avant qu’il ne nous
tue lui-même et duquel disparaît un jour celui qu’on appelle le Vieux, figure
tutélaire de ce trou perdu dans les limbes. Adrien devient aussitôt le bouc
émissaire idéal. Puisque nous sommes chez les taiseux, l’auteur ne gaspille pas
inutilement sa salive pour expliquer de quelle manière tout ça finira. Juste
bien plantés, quelques mots qui font mouche, d’autres qui font mal, d’autres
encore qui font rire, voilà le style épuré et poétique de Tellier. C’est qu’il
est aussi sculpteur, l’artiste. Alors, il fait subir à la langue ce que la
guerre et le climat ont fait subir aux hommes ; il la burine, il la
tabasse, il la martèle, il la bouscule, il la malmène, il la taille, il la
tiraille, il la distord, il la creuse, il la dégraisse, il l’assèche. Et là où
les hommes s’abiment, la phrase de Tellier se réduit à l’essentiel, se sublime,
prend une patine incroyable. Du sang des tranchées mélangé à la boue des
campagnes, ce ciseleur de mots, alchimiste sur les bords, parvient à faire de
l’or.
(Article publié dans Service littéraire en octobre 2012.)
(Article publié dans Service littéraire en octobre 2012.)
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