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© David Azulay |
Dans
un précédent entretien, Véronique Sauger évoquait son émission
Les contes du jour et de la nuit, diffusée quotidiennement sur le site Web de France Musique en streaming et disponible en podacast. Émission dans laquelle, à travers des appels à écriture, elle donne la parole à tous, anonymes ou auteurs reconnus. Son sens du partage de la parole et de l'écriture ne s'arrête pas là, puisqu'elle a fondé en 2008
Épingle à nourrice éditions, qui prolonge peut-être l'action qu'elle a commencé à mener sur France Musique. Le mieux est de le lui demander.
Pour quelle(s) raison(s) avoir choisi le nom Épingle
à nourrice ?
J’ai créé Épingle à nourrice éditions tout de suite
après avoir créé l’association Gens du monde, dont elle est une ramification.
Le nom fut d’abord lancé comme une plaisanterie, mais
j’y ai rapidement vu et entendu le symbole de tout ce qui peut attacher,
rattacher, coudre, aider, nourrir. Il s’agit également d’un clin d’œil à la
culture punk ; culture du paradoxe, car sous des apparences décalées, avec
des épingles à nourrice utilisées comme bijoux, en piercing, en tatouages, et la
réappropriation artistique des vêtements de masse, les punks sont souvent bien
fragiles. Comme les mélodies émanant de cette musique, d’ailleurs, simples, courtes,
refusant toute démonstration ostentatoire de virtuosité.
Simplicité et sobriété.
Quelle ligne éditoriale soutiens-tu ?
Eh bien, justement, simplicité et sobriété. C’est
vraiment le principe d’action, voire l’idéologie, d’Épingle à nourrice éditions.
Ta démarche s’inscrit-elle dans le prolongement
naturel, instinctif, évident de l’action (on peut carrément parler
d’engagement) que tu mènes avec ton émission Les contes du jour et de la
nuit ?
La démarche complète en effet celle des Contes du
jour et de la nuit : après avoir ouvert la création à tous avec une
musicalité parfois éphémère, j’ai voulu tenter d’offrir la possibilité de les
imprimer dans toutes les strates du temps.
Il y a un article très important dans les statuts de
l’association, l’article 2 :
« Cette association (loi 1901) a pour but l’accession de tous
à la culture, à la création, la défense de la littérature, de l’écriture ainsi que de toute autre activité artistique,
comprenant édition, lectures publiques, radio Web,
ateliers, ainsi que la collecte et la diffusion d’écrits, témoignages, de
France et d’autres pays (pouvant nécessiter des
déplacements), d’artistes censurés et/ou en situation de précarité. L’art en partage pour en finir avec l’élitisme et la censure
(…) collaborations d’artistes, écrivains,
journalistes, photographes,
graphistes, illustrateurs, vidéastes, de France et de l’étranger... »
Notre rôle est aussi de faire intervenir des
professionnels lâchés par le système. C’est avec eux que nous aidons les publications
de collectifs (retraités, SDF, foyers...), d’ateliers d’écriture, de
groupements d’auditeurs, d’écoles, d’IME... pour pérenniser une œuvre, une
démarche, un projet. Retrouver une dignité rejoint la fierté d’avoir créé, rend
heureux. Pouvoir montrer cela fait grandir. C’est important.
À quelles difficultés es-tu confrontée dans le bon
fonctionnement d’Épingle à nourrice éditions ? Es-tu diffusée aisément,
présente dans toutes les librairies, bénéficies-tu de soutiens ou d’aides de la
part d’organismes comme le CNL, dont c’est la vocation ?
Je suis confrontée à toutes les difficultés, et je
n’ai aucun soutien. Ma réponse peut sembler cynique mais c’est la réalité. Offrir
au plus grand nombre la possibilité d’être accompagné de manière
professionnelle dans l’élaboration d’un recueil, et cela très simplement, pour
un coût minimum (participation aux frais d’impression) et une réalisation
parfaite (mise en page, création originale des couvertures, choix des matériaux
en relation avec le thème du recueil ou du livre) n’est pas de tout repos. Les
auteurs reçoivent ensuite la quasi-totalité des ouvrages (l’association en
conserve de 20 à 50 exemplaires, selon le tirage, la carte d’adhérent étant un
livre au choix), sont déclarés à la BNF, à Electre, etc. et conservent la
totalité de leurs droits. Comment faire un autre choix ? Mais je passe mon
temps à chercher des bénévoles, des fonds, des dons, des adhérents. Je passe
mon temps à négocier.
Nous ne sommes que miraculeusement présents dans les
librairies, peu intéressées par une démarche parallèle, hors circuit.
Quant au CNL, j’ai déposé une demande d’aide une fois
et je n’ai même jamais obtenu de réponse. Qui bénéficie des aides du Centre
national du livre ? En cherchant un peu, j’ai trouvé : des maisons
d’édition déjà connues et reconnues ! C’est assez injuste… et décourageant.
Qu’est-ce qui te fait tenir bon dans la
tourmente ?
L’espoir. L’espoir sincère d’un monde meilleur, plus
égalitaire, plus solidaire, plus juste, plus tolérant, donc... cultivé.
Les autres. Aider les autres, leur transmettre, les
rendre heureux et fiers d’eux-mêmes, c’est ma ligne de conduite, ma passion,
mon devoir.
La défense de la liberté d’expression. Faire
perdurer, mettre en pratique la pensée de Voltaire : « Je défendrai mes opinions jusqu’à ma mort, mais je donnerai ma vie pour que vous puissiez
défendre les vôtres ! »
Quel regard poses-tu sur l’édition numérique ?
As-tu déjà envisagé cela comme un outil de diffusion puissant et à faible
investissement financier ?
Il faut savoir que les auteurs que nous publions
aiment et veulent des livres, l’objet livre. Sinon, pour le numérique, il y a
la question des droits, c’est très important pour moi, je ne connais pas très
bien ce qui est proposé en édition numérique. Quand je sais qu’à la radio je
n’ai plus aucun droit en étant passée uniquement sur le Web, je me pose des
questions.
Je pense tester d’abord moi-même, avec mes propres
écrits, l’édition numérique. Ensuite, lorsque Épingle à nourrice éditions ne
sera plus gérée en association et élargira ainsi son champ éditorial, nous y
viendrons certainement pour certaines thématiques.
Peut-être deviendrons-nous alors un leader de
l’édition numérique, épaulés par la Web radio culturelle et internationale à
laquelle nous réfléchissons. Peut-être la culture sera-t-elle alors en partage
mais tout en reconnaissant les artistes, vraiment ?
Tu parles d’une Web radio culturelle internationale.
J’en viens donc à te demander quels sont tes projets.
Survivre libre !
Avant cela, pour cette année, l’Académie de
Rennes/Brest m’a proposé de collaborer à des ateliers d’écriture, de mise en
voix, de mises en sons, puis d’édition. J’ai animé les premiers ateliers il y a
quelques jours, avec des jeunes de Segpa
(Section d’enseignement général et professionnel adpté). Quelle classe, ces
gamins souvent considérés comme perdus ! Quelle écoute, quel courage, y
compris celui de se remettre en cause.
Ce travail se situe dans la continuité de celui que j’ai
effectué à Nantes pendant 3 ans, puis ensuite près de Mulhouse avec le groupe Ated
(Autisme et troubles envahissants du développement) de l’I.M.E de Bartenheim, et
enfin auprès d’une fondation éducative à Istanbul.
Et comme tu l’as relevé, je réfléchis en effet à la
création d’une Web radio hébergée chez Arte radio.
Créer ensemble, en lien(s), sur un même thème, se
retrouver ensemble dans un livre rend plus fort, lie, relie, réunit.
Merci pour toutes tes réponses. Tu as également évoqué
tes propres écrits. Cela fera l’objet d’un troisième entretien. Tu n’as pas le choix,
je ne te lâcherai pas avant.