© David Az |
Quel est le concept de ton émission Les contes du jour et de la nuit ?
Si concept il y a, c’est celui d’ouvrir
le champ des musiques à tous, par le biais des mots. À l’école, nous apprenons
tous les mots ; à lire, à écrire, même si ce n’est pas au même rythme,
mais nous n’apprenons pas la musique. On a beau dire, l’apprentissage de la
musique est encore un privilège, ou alors un hasard, ce qui a été le cas pour
moi.
Pour cette émission, je lance à tous, de
France et du monde, habitants de la terre, des appels à écriture (conte,
poésie, fragments) en relation avec des musiques mais aussi avec des images,
des mots « imposés », de manière à ce que personne ne se sente
étranger, ou lésé, par rapport à la demande. Celle-ci doit rester simple,
accessible, afin que la réalisation soit la plus parfaite possible.
Le principe est le suivant : un jury
d’écrivains, de musiciens, de graphistes ainsi que le chargé de réalisation de
l’émission et moi-même sélectionnons les textes. Je choisis ensuite les
musiques qui les illustreront au cours de ma lecture, ou bien je fais appel à
des musiciens qui viennent composer en direct une œuvre originale sur ma voix.
Les plus grands du jazz européen se sont prêtés au jeu avec un plaisir et une
simplicité incroyables. Ces créations sont ensuite diffusées sur le Web de
France Musique en streaming – situation unique sur cette antenne –, et depuis septembre
elles sont disponibles en podcast.
Je laisse très rarement des écrits sur le
carreau. J’essaie de tirer le meilleur de chaque texte (même s’il faudra des
années pour enregistrer tout ce que je reçois !) et de lui choisir la
meilleure musique pour le soutenir, pour résonner avec lui, non en fond sonore
mais bien en duo (voix et harmonies), la musique répondant, mais sans redonder,
aux mots, et vice versa.
Le mixage est par conséquent très
important. La musique doit être au même niveau que les mots sans pour autant
les aplatir ni les cacher, mais au contraire pour les soutenir. On offre aux
auditeurs la liberté d’imaginer, de sentir des strates d’interprétations,
métaphoriques ou subliminales, grâce aux sons, et nous tâchons de toujours faire
découvrir des musiques de tous types, d’époques différentes, d’interprétations
différentes, de la Renaissance jusqu’à l’époque contemporaine, et les musiques
dites « du monde ».
Le prochain appel à écriture sera lancé
mi-décembre !
Quand tu dis que tu lances des appels à écriture à tous, cela signifie-t-il à
tout le monde, anonyme ou grande plume ? Dans ton émission, le texte de Monsieur
ou Madame X peut-il se retrouver à côté de celui d’un auteur reconnu ?
Oui, c’est l’idée même de partage et de
création démocratique que je défends. On a tous quelque chose à dire, à
exprimer. C’est l’acte qui peut être délicat mais lorsqu’il est guidé, il se
déclenche sans douleur. Ainsi, dans les Contes du jour et de la nuit, les
écrits de tous se retrouvent-ils ensemble dans le même cadre, adaptés et lus
par la même voix, réalisés avec le même soin, soutenus par les mêmes grands
musiciens.
Tout le monde a voix au chapitre : enseignants,
élèves (de la maternelle à l’université), écrivains confirmés, grands poètes
disparus, chanteurs, paroliers, photographes, secrétaires, notaires, serveurs
de bar, infirmières, aides-soignants, et la liste est encore longue ; mais
encore retraités de tous métiers ; et aussi auteurs, étudiants et
journalistes étrangers censurés dans leur pays ; et enfin SDF, autistes, handicapés
mentaux et/ou moteurs.
Cet éclectisme qui fait le sel et la richesse de ton émission a-t-il eu des
incidences sur sa programmation ? Elle a d’abord été diffusée sur les
ondes, à tous les horaires de la grille, pour être aujourd’hui exclusivement présente,
comme tu l’indiquais précédemment, sur le Web, en streaming, et disponible en
podcast.
J’y ai beaucoup réfléchi et y réfléchis
encore. Probablement, oui. Mais j’ai d’abord pensé que ce que je réalisais
était ignoré, volontairement ou non. Car cela paraît inouï, cette démarche de
l’art en partage, et de fait, c’est une quantité de travail conséquente !
Mais quel bonheur que celui de rendre les autres heureux.
Je pense que notre société de l’image, du
people, de l’art facile, de ces magazines faisant passer l’art pour de
l’information ou l’information pour de l’art, aux diffusions douces, connues,
sans saveur, évitant de donner à réfléchir, à penser, grandir, ou se prendre en
charge, fait un tort considérable aux vrais créateurs, aux défenseurs
« simples » de la culture.
Par ma formation, mes débuts particuliers
de musicienne, je dois beaucoup au fait de partager. C’est donc ce que j’ai
naturellement choisi et proposé pour cette émission, sans jamais abandonner.
Personne ne soupçonne – ou ne veut soupçonner – l’impact positif de l’art et de
la participation créative dans la vie en général. Je suis très isolée dans
cette démarche, et je peux faire peur. Une inspectrice de l’éducation nationale
me l’a fait remarquer un jour.
Ce qui a eu le plus d’incidences sur le
créneau de diffusion des Contes du jour et de la nuit ? Sans doute un tout
lié au fait que la chaîne a fait le choix de ressembler à toutes les autres,
multipliant magazines et hommages aux plus connus. Comme il n’y a pas de vain
combat pour moi, j’ai décidé de développer et de positiver la diffusion sur le
Web en en faisant un rendez-vous quotidien comme une diffusion antenne. Et j’ai
demandé à un créateur visuel, graphiste et peintre, David Azulay, de créer des
vidéos spécial Web d’après les meilleurs enregistrements disponibles en
podcast. C’est fabuleux, nous avons ainsi ouvert une possibilité « d’écoute »
aux malentendants.
Exister sur le Web est une lutte de
chaque instant, d’autant que rien n’est prévu pour cela par la chaîne. Eh oui,
c’est la seule et unique émission qui ne soit pas en même temps à l’antenne et
qui, donc, n’apparait plus dans les programmes édités par les journaux, par
exemple... et nous revenons au questionnement du début. Qui saura ?
Je dois beaucoup à tous les fans de
l’émission qui ont continué envers et contre tout à la suivre et qui font connaître
son existence sur le Net. Ce n’est certes pas suffisant, il faudrait que les
médias relaient l’info, mais que faire ?
Comment peut-on écouter l’émission, quel est le lien Internet ? Pour faire
relayer l’information, as-tu déjà endossé le costume d’attachée de
presse ? As-tu contacté les médias, que tu évoques plus haut, pour qu’ils
parlent à leur tour des Contes du jour et de la nuit ? France Musique n’en
fait-elle pas elle-même la promotion ?
Le lien, via le site de France Musique
est le suivant :
Également via Dailymotion :
Et le petit dernier en cours (en
attendant de créer ma propre web radio) :
Sinon, je ne suis pas attachée de presse, c'est un
travail à plein temps que je ne maîtrise pas. En outre, j’ai déjà beaucoup de
travail entre la récolte, le choix, l’adaptation des écrits, le choix des
musiques, leur préparation, les enregistrements. D’autre part, je ne possède
aucune relation dans la presse ou les
médias, même si j’ai cette émission depuis 7 ans.
C’est dû à la singularité du concept et à ma
personnalité, sans doute, mais aussi (surtout) aux manques de temps et de goût
pour l’opportunisme.
Et non, France Musique ne fait absolument aucune
promotion de cette émission. Rien. Je ne suis ni dans les programmes de la
presse ni en promotion à l’antenne, ni même en bonne place sur leur page
d’accueil Web ! C'est le désert. Incroyable.
Les médias, de manière générale, n'ont jamais évoqué
la situation devenue singulière des Contes du jour et de la nuit. Peur ?
Désintérêt ? Qui sait.
Les musiciens, les auditeurs, écrivains ont pourtant tenté
de les alerter. Deux soirées (pleines à craquer) ont même été organisées au
Limonaire, à Paris, en soutien à l’émission. En vain. La situation et l’existence
même du concept (que beaucoup tentent de copier et de reprendre à leur compte
aujourd’hui) sont en danger. Pourquoi ce silence, je l’ignore. Alors je me dis,
les jours de découragement, « à quoi bon ».
Heureusement, des projets annexes maintiennent ma
foi, des ateliers d’écriture, de lecture, de musique, avec des sections
scolaires spécialisées (Segpa, classes Ulis, Cliss…), IME, collectifs de SDF…
Je prends sur mon temps, mais je le fais, j’y vais, je m’y colle, toujours avec
enthousiasme, et je diffuse la création et la musicalité dans la vie. Absolument.
Merci
pour ce temps, précieux, que tu m’as accordé. Mais maintenant que je te tiens, je
ne te lâche plus. Pas encore. J’aimerais parler des éditions Épingle à
nourrice, que tu as créées et que tu diriges. Cela fera l’objet du prochain
article, dans la série de trois qui t’est consacrée.
Excellente interview. Quel dommage que l'émission ne soit plus programmée sur les ondes...
RépondreSupprimerOuais! Très dommage! Et une grande dame, Véronique Sauger!
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