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27 janvier 2013

L'œuvre hypermédia : un concept baudelairien


Entretien avec Marc-André Fournier, créateur de la première heure d'œuvres hypermédia.


Tu es l’auteur de plusieurs guides culturels pour découvrir l'Italie et la France, en suivant les traces de Léonard de Vinci et Michel-Ange. Tu qualifies ces livres d’« hypermédia », là où de moins savants parleraient de livres enrichis ou augmentés. Explique-nous en quoi consistent tes ouvrages et ce qu’est un livre hypermédia. Quelle est la philosophie, la vision de l’art que tu défends derrière ce concept ? Quel est l’intérêt de l’hypermédia ?
Les Guides MAF obéissent à deux lignes conductrices. La première est un vers de Baudelaire : « Les parfums, les couleurs et les sons se répondent. » Autrement dit, toutes les branches de la culture (littérature, musique, image, etc.) sont amenées à se répondre et non plus à se développer en snobant les autres. La seconde est qu’il n’existe pas de primat d’une discipline sur une autre. Une chanson peut être le pivot d’un développement spécifique ; les textes et les images – animées ou fixes – sont alors au service de cet « art mineur », pour reprendre Gainsbourg.
Ni savant ni science, dans cette approche, seulement expérimentateur et expérimentation. Il est difficile pour un non pratiquant de qualifier, de distinguer des approches dont le résultat, à première vue, semble identique.
Pour être plus précis, un livre enrichi est d’abord un livre écrit pour un support – disons papier, par facilité – auquel on ajoute, hors de son écriture,  des illustrations sonores ou picturales.
Un livre hypermédia est réalisé – et non écrit – dès son processus de création, dès sa phase immatérielle. Ensuite, c’est juste une question d’outils.

Enrichis-tu toi-même le contenu de tes livres ou recours- tu à d’autres compétences ?
Je fais tout tout seul. Une exception pour les vidéos. Je ne suis pas cinéaste et j’ai parfois recours aux documents numérisés sur Gallica ou Europeana. Mais là encore, il faut les retravailler pour une mise au format ou couper des scènes ; un travail de montage en somme.

Jacques Arcadelt
De quelle manière le livre hypermédia modifie-t-il le travail de création ?
Franchement, je ne sais pas, car dès le départ, c’est-à-dire en 2006, j’ai pensé multimédia.
Stendhal nous dit : « Pour comprendre Michel-Ange, il faut se faire citoyen de Florence en 1499. » O.K., mais comment écarter de cette approche la musique ? Un exemple : dans ses lettres, le sculpteur – qui est aussi l’un des plus grand poète de l’Italie – se dit ravit de la mise en musique de ses poèmes par Jacques Arcadelt [1] La seule écriture est impuissante à rendre cette ambiance culturelle ou populaire dans laquelle baignaient Léonard de Vinci et Michel-Ange, dans laquelle nous baignons. Si j’écris « Pure and Easy [2], de Pete Townshend, est un manifeste hypermédia », en dehors des fans des Who, et encore, personne ne va comprendre. La lecture des paroles va nous éclairer, mais son écoute sera encore plus puissante à performer cette assertion.

Aujourd’hui, 24 janvier 2013, sur quels supports de lecture numérique peut-on lire des livres hypermédia ?
On pense tout de suite à l’iPad. Le moteur de rendu d’Apple, iBooks, lit les formats ePub avec vidéos et musiques et le format maison, Authors, spécifiquement développé pour ce type d’écriture. Il est possible, sur PC et Mac, de lire avec Acrobat des PDF hypermédia.
Il existe, je crois, une application pour iPad capable aussi d’un tel rendu, mais je ne me souviens pas du nom.
Concernant KF8 et le Kindle, c’est paraît-il possible, mais je ne sais pas faire. Mes balises vidéo et musique ne sont pas reconnues. De plus, au-delà de 50 Mo, KDP nous rejette. Et 50 Mo, ce n’est rien.

Quelles sont les limites techniques, à ce jour, du livre hypermédia ? Que peut-on faire, que ne peut-on pas faire ?
Pour le moment, je suis loin d’avoir atteint les limites techniques des protocoles et formats d’ePub ou iBooks. Mes compétences techniques et mes ressources pécuniaires sont plus pénalisantes. J’aimerai par exemple intégrer des séquences de jeux. Possible, pas possible, je ne sais pas, mais cher, c’est sûr.

Alde Manuce
Quel est le coût de fabrication d’un livre hypermédia ? À ce propos, parle-nous de la présence de publicité contextuelle dans tes livres, ce qui va faire hurler tout le monde.
Les guides sont longs et chers à produire (dizaines de milliers d’euros, en temps passé). C’est juste un peu plus long et un peu plus cher à réaliser. Intégrer une musique existante, avec la permission des interprètes – pour les compositeurs, dans mon cas, ils sont morts depuis longtemps –, ce n’est pas un budget faramineux, juste du temps.
J’écris en couleurs aussi, le noir pour moi, le bleu pour les citations, le violet pour Léonard, une autre couleur pour Michel-Ange. Ce n’est pas plus cher. Cela permet d’éviter « Léonard a dit, écrit, souligné, etc. » On y gagne en fluidité d’écriture, en enrichissement ;-). J’ajoute même des pictogrammes pour caractériser les intervenants, les armes du pape pour Pie II, par exemple. Les gens aiment bien.
La pub dans les livres, c’est vieux comme les livres. Manuce [3], au XVIe siècle, y avait déjà recours. Pour le moment, deux titres à mon actif incluant de la publicité et aucun hurlement parvenu à mes oreilles.  Cette expérience reste encore confidentielle.
Le lectorat veut du gratuit, et les auteurs veulent vivre de leur passion, la publicité est une solution. Personne ne rejetterait l’Énéide de Manuce, au prétexte de la présence des pages publicitaires qu’il y a lui-même introduites, dans sa version d’origine, donc, en 1501 ! Humaniste et homme d’affaires…
Si l’approche publicitaire n’est pas trop intrusive, si elle est pratiquée avec intelligence, on devrait pouvoir satisfaire tout le monde, les libraires y compris. L’idée est que l’annonce ne dégrade pas le texte mais le valorise ou le complète, comme par exemple l’insertion de la vidéo de Baumgartner, dans mon ouvrage Milan, visites avec Léonard.

Quels sont les développements envisageables ? Jusqu’où peut-on rêver ?
Les limites sont celles de notre imagination, bridée certainement par nos connaissances techniques… ou notre porte-monnaie. J’aimerais par exemple voyager au sein des tableaux, une sorte de « reverse engineering » de la perspective linéaire. Techniquement, c’est sûrement faisable, des gens savent ; pécuniairement, c’est une autre histoire.

L'ombre de MAF (DR)
Pour quelles raisons as-tu décidé de présenter tes ouvrages en auteur indépendant ? Les as-tu d’abord montrés à des éditeurs traditionnels ?
Si on revient 7 ans en arrière, je n’imaginais pas un éditeur miser un kopeck sur un illustre inconnu, projetant de réaliser un guide hypermédia avec pour fil conducteur Léonard. Je suis allé voir Michelin avec un guide tout fait (un PDF sur CD) pour proposer un partenariat. Réponse : « Non, ce n’est pas à l’ordre du jour. »
Aujourd’hui, la réponse serait la même, mais avec une argumentation différente.

Quels sont les avantages, pour toi, à être un auteur indé ? Quelles sont les difficultés ou les inconvénients ?
La liberté. La voie est évidemment plus dure, quoique. Proust a bien été refusé par la NRF, alors.  On évite les forbans aussi, et il en existe quelques-uns dans la profession.
Le manque de notoriété est le principal obstacle. MAF ou Guides MAF, qui connaît ? Asseoir sa notoriété demande beaucoup de boulot, de l’entregent, de la patience.
Si votre nom est accolé à une maison prestigieuse, toute sa puissance vous accompagne, même si c’est de la daube ;  on a tous des titres en tête.
Mais vendre de la daube en étant indépendant, c’est mission impossible. Cette position ne supporte pas la médiocrité. La critique et les lecteurs devraient y réfléchir avant de rejeter un travail fourni par un tel auteur.

Accepterais-tu d’être édité, si l’occasion se présentait, par un éditeur traditionnel ?
Non.
J’accepterais volontiers de vendre le catalogue et good bye. Faites-en ce que vous voulez, et je ferai de même de votre argent.

Où peut-on découvrir des extraits de tes livres, où peut-on se les procurer ?
Découvrir possède un double sens. Le lecteur doit effectivement partir en quête. Une requête sur Léonard ou Milan peut parfois donner des résultats surprenants. La visibilité des Guides MAF sur l’iTunes Store, même dans l’espace iBooks Author, est loin d’être évidente. Idem pour les libraires d’ePagine ou Immateriel. Mais parfois Christophe G. ou Alexis L. détournent le flux du main stream « culturel », prennent un risque et mettent en avant un titre.
Seul Apple offre des extraits hypermédia avec le format maison iBooks Author.

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[1] Compositeur franco-flamand (1507-1568) de la Renaissance. Plus de détails (en anglais) sur son lien wikipedia
[2] Écouter la chanson
[3] Alde Manuce (1449-1515), imprimeur-libraire vénitien, véritable inventeur du livre de poche et diffuseur de la culture humaniste en Italie. Plus de détails.

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