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27 juillet 2013

13e Note éditions [1] — La note bleue

Adeline Regnault est éditrice chez 13e Note éditions, une maison indépendante à la ligne éditoriale sculpturale que je vous invite à — ou plutôt que je vous supplie de — découvrir séance tenante, si vous êtes gavés des paquets de lessive qu'on tente de vous refourguer en librairie en vous faisant croire qu'il s'agit du dernier Graal littéraire.
Cette série de 10 entretiens, à laquelle je remercie Adeline de s’être prêtée à l'improviste, vous donnera envie, je l'espère, d'aller vous balader sur le site dédié de 13e Note éditions et de lire ses livres.
Dans cette première interview, il est question de note bleue, concept musical du blues et du jazz que l'équipe de 13e Note, avec son chef d'orchestre Éric Vieljeux, transpose à la littérature.



13e Note édition, c'est ici : http://www.13enote.com

7 juillet 2013

« Les Avenirs », de Hafid Aggoune


Avant tout, il faut raconter l’histoire de ce livre, car il s’agit d’une belle histoire ; non pas raconter l’histoire que raconte ce livre (qui est également une belle histoire, nous y reviendrons), mais le parcours du texte, son aventure, son itinéraire, son combat, pour arriver sous les yeux des lecteurs. Et pour y rester.
Les Avenirs est le premier roman de Hafid Aggoune. Publié en 2004 par les éditions Farrago, il a reçu le prix de l’Armitière cette même année et le prix Fénéon en 2005. Puis l’éditeur a cessé son activité en 2006, et le livre est devenu indisponible en version brochée.
L’auteur a récupéré ses droits numériques et les a confiés à StoryLab, en 2013, qui peut ainsi sauver ce roman de l’oubli et en proposer une version corrigée ainsi qu’enrichie d’un entretien filmé de Hafid Aggoune. Celui-ci y explique fort justement que le support de lecture importe moins que le contenu lui-même et que seule compte la diffusion et la (sur)vie des œuvres.
Voilà comment une pépite littéraire trouve une seconde vie grâce au numérique.

L’histoire pourrait s’arrêter là, et ce ne serait déjà pas si mal. Mais l’ironie du sort en a voulu autrement. Car ce texte qui connaît aujourd’hui une renaissance parle d’un homme… qui connaît une renaissance. Il semblerait que les dieux farceurs de la littérature se soient penchés sur le berceau de Hafid Aggoune.
Dans ce récit, Pierre, 76 ans, revient d’une longue absence au monde et à lui-même, il se réveille d’un long sommeil qu’il a entamé un jour d’automne 1942, alors qu’il était âgé de 17 ans. Durant plus d’un demi-siècle, il est resté en léthargie, « dans un asile perché comme un enfer à flanc de falaise », sur l’île de Luz, face à la mer.
Ce qui a provoqué en lui l’électrochoc salvateur, nous le savons d’emblée, c’est le suicide d’un pensionnaire de l’établissement psychiatrique ; un peintre du vide, créant sans pinceau ni couleurs sur une toile imaginaire, bougeant sa main et son bras dans l’air, et que Pierre a regardé peindre sur le vent, jour après jour, au cours de toutes ces années. La mort de cet homme fait prendre conscience au narrateur que lui est en vie, finalement, contre toute attente.
Si nous comprenons dès le début ce qui a réveillé Pierre, nous découvrons progressivement ce qui l’a endormi. Les éléments reviennent par bribes, par vagues, tel le ressac que les pensionnaires entendent dès qu’ils déambulent dans les jardins de l’hôpital.
L’auteur procède par petites touches, comme un peintre pointilleux qui dose ses contrastes et ses effets. Mais peu à peu l’esquisse prend forme, les motifs se précisent et complètent le sujet, du déracinement de Pierre, jeune enfant de 3 ans arraché à sa mère en France et confié à sa grand-mère en Algérie, à la rencontre avec Margot, jeune fille juive de 17 ans, artiste peintre elle aussi. Et auteur, entre autres, d’une toile intitulée Les Avenirs. Mais est-il possible pour un jeune garçon d’aimer une jeune fille juive dans le Paris de l’Occupation ?
Quelle que soit la réponse, quelle que soit la noirceur du tableau, quel que soit le temps que ça prenne, Hafid Aggoune nous montre avec talent et poésie que, d’une manière ou d’une autre, la vie reprend toujours ses droits. Il affirme que le passé ne s’oublie jamais, qu’il est comme une langue maternelle, et que nos souvenirs fondateurs finissent par nous revenir comme autant de mots primordiaux et essentiels qu’on croyait perdus. Il affirme enfin, dans un message d’espoir, que ce passé, une fois apprivoisé, est la clé de nos avenirs.
(Article publié dans La Cause littéraire, le 2 juillet 2013.)

Les Avenirs, Hafid Aggoune, Éditions StoryLab, 2013, 5,99 €.