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5 avril 2013

Entre chiens et cougars : la patte de Florian Rochat


DR

Florian Rochat est un ancien journaliste de presse écrite, de radio et de télévision. Il a publié deux ouvrages chez des éditeurs traditionnels, La Saga du boulot (Favre, 1986) et Cougar Corridor (Le Passage, 2009).
Cependant, il a décidé de publier son nouveau roman en auteur indépendant. Il explique pour quelles raisons, selon lui, l'édition numérique et indé n'apporte que de bonnes choses aux lecteurs comme aux auteurs. Ce qui n'exclut pas la possibilité de proposer ses livres en version papier pour ceux qui restent réfractaires aux liseuses et tablettes.  




Parlez-nous de votre dernier roman en date, La Légende de Little Eagle.
C’est une longue histoire. Voici une dizaine d’années, alors que je traquais des lions de montagne dans le Montana, pour les besoins de mon premier roman, Cougar Corridor, je suis tombé sur une lettre, dans un petit musée indien. Le courrier était posté de Mardeuil, en 1947. L’auteur s’adressait aux parents d’un jeune pilote américain qui avait évité un désastre à ce village en 1944. Il était resté jusqu’au bout aux commandes de son appareil endommagé pour ne pas s’écraser sur ses maisons, et avait ainsi trouvé la mort, alors qu’il aurait pu sauter en parachute. Mais en sacrifiant la sienne, il avait sauvé plusieurs vies.
Donc un jeune gars était parti du Montana pour aller se battre en Europe et était resté en Champagne. Là-bas, au cœur des montagnes Rocheuses, cette lettre et ses implications m’avaient ému. Comment pouvait-on s’engager comme volontaire (le cas de tous les pilotes américains) pour s’en aller faire la guerre sur un autre continent, à un moment où les États-Unis n’étaient plus menacés ?
Le contenu de cette lettre m’a poursuivi durant plusieurs années. Je me disais qu’il y avait peut-être là l’idée d’un livre… mais quoi ? Puis un jour, le déclic : et si, aujourd’hui, quelqu’un héritait d’une maison épargnée par ce pilote, et – sans connaître les faits – découvrait une copie de la fameuse lettre de 1947 ? C’est ce qui arrive à Hélène Marchal, ma narratrice, dont la mère, âgée de 4 ans à l’époque, se trouvait sur les lieux (j’imagine que c’est son grand-père qui avait voulu rendre hommage à leur fils à ses parents). Sans ce pilote, Hélène n’aurait pas pu voir le jour. Du coup, elle veut savoir qui était John Philip Garreau, surnommé Little Eagle, et elle part enquêter dans le Montana pour reconstituer son histoire. La Légende de Little Eagle se déroule sur fond de guerre et d’aviation, mais pour moi, c’est un roman sur le destin et ses mystères, qui relient tous les protagonistes de cette histoire, dans le temps et dans l’espace, jusqu’au moment où Hélène Marchal croit pouvoir mettre un point final à son livre. Ultime rebondissement.

Quelles sont vos influences, vos modèles littéraires ?
Je ne crois pas être influencé par qui que ce soit, et je n’ai pas de modèles non plus. Mais un grand intérêt pour les auteurs américains. Ceux du Montana et de l’Ouest en général : Jim Harrison, Rick Bass, William Kittredge, Ivan Doig, James Welch, Norman McLean, Dan O’Brien, Louise Erdrich, Jim Fergus, mais aussi Jeffrey Eugenides, Jonathan Franzen, Michael Connelly, John Irving, Stephen King. Et un « géant » : Thomas Wolfe (à ne pas confondre avec Tom Wolf, que j’aime aussi beaucoup).

De quelle manière travaillez-vous ?
Un peu au petit bonheur… De manière intense (8 heures par jour) quand je me plonge dans un sujet. Puis plus rien pendant plusieurs mois… ou années.

Vote premier roman, Cougar Corridor, a été publié par un éditeur traditionnel, les éditions du Passage, mais vous avez choisi de publier La Légende de Little Eagle en auteur indépendant. Qu’est-ce qui vous a conduit à cette démarche ?
Je voulais confier  La Légende de Little Eagle au Passage, mais ils l’ont refusé au motif qu’ils n’aimaient pas « le rythme de l’écriture ». Bon… J’ai tenté alors ma chance auprès d’une dizaine d’autres maisons, mais sans succès. Entre-temps, j’avais suivi depuis le début de 2011 ce qui se passait aux États-Unis avec la révolution numérique de l’édition. L’idée de publier facilement, tout en gardant tous ses droits, était séduisante. Je me suis donc lancé.

Quels avantages voyez-vous à publier vos livres de façon indépendante, comparativement à une publication par un éditeur traditionnel ?
La liberté esquissée plus haut. Mais aussi un fait connu : il est très, très difficile de trouver un éditeur si on n’a pas eu un peu de succès au préalable. Presque impossible. Quatre-vingt-dix-neuf pour cent de rejets de manuscrits, dit-on, et je crois que c’est vrai. Comme le dit Mark Coker, le fondateur de Smashwords, les éditeurs traditionnels sont moins intéressés de publier des livres que d’en vendre. Donc ils misent sur les auteurs qui leur font courir le moins de risques. Aujourd’hui, pour un auteur, il est par conséquent naturel de tourner le dos à l’ancien système et de tenter sa chance en indépendant. Son livre, ses livres, occuperont sur les « étagères » des plates-formes numériques le même espace que ceux des stars de l’édition. Et ils y resteront, parce que ces étagères sont illimitées, contrairement à celles des librairies, où les livres qui se vendent modestement seront éjectés au bout de deux ou trois mois pour faire de la place à d’autres. Et mourront.

Quels sont les inconvénients ?
Un autre fait connu : la vente est difficile sur un marché francophone encore immature et assez petit. Surtout par rapport au marché anglophone : les auteurs américains ont un « bassin » domestique de 300 millions d’habitants pour tenter de trouver des lecteurs. Ce marché passe à 500 millions si on prend en compte les autres pays anglophones. Et peut-être à 800 millions si on prend en compte toutes les personnes qui, de par le monde, parlent et lisent l’anglais. Voilà pourquoi les « success-stories » de l’autoédition sont surtout anglo-saxonnes.

Quelles difficultés rencontrez-vous, d’ordre technique ou autre ? Faites-vous appel à des professionnels pour certaines compétences ? Que pensez-vous des différentes plates-formes et de la facilité pour être présent sur chacune d’elle ?
Je ne suis pas un génie en informatique, mais j’ai un ami spécialiste qui a formaté mon roman et conçu mon site. Pour la re-re-re-relecture et l’édition, une poignée d’anciens confrères journalistes et écrivains. Il faut les écouter, mais pas toujours. L’auteur doit imposer son libre arbitre au moment de faire des choix éditoriaux d’importances diverses. Et je me suis payé dernièrement une nouvelle couverture, par une graphiste professionnelle. L’ancienne, que j’avais concoctée moi-même, faisait assez amateur.
Pour les plates-formes, c’est Amazon Number One ! Le Kindle Direct Publishing est facile et efficace, l’option « échantillon gratuit » très séduisante. Pour le reste, je suis passé par Smashwords, où l’on trouve des gens très agréables et très pros, et qui distribue automatiquement les livres sur Apple, Kobo, Fnac, Diesel, Sony et d’autres, sans qu’on ait à se casser la tête avec toutes ces plates-formes.

Proposez-vous vos livres exclusivement en numérique ou également en version papier ? Comment cela se passe-t-il ?
J’ai aussi utilisé la possibilité qu’offre Amazon avec CreateSpace, donc version papier en impression à la demande. Là aussi, l’outil de téléchargement est super efficace et facile d’utilisation. Ventes plutôt marginales, par contre, mais c’est sympa de pouvoir donner son livre (de très bonne qualité à un prix très abordable) à des proches qui ne sont pas encore convertis au numérique… et de pouvoir offrir cette option à des lecteurs/clients potentiels.

Avez-vous une idée du regard que portent les professionnels du livre – éditeurs, auteurs, libraires, critiques, journalistes – sur les  auteurs indépendants ? Et les lecteurs, qu’en pensent-ils ?
Leur regard est dans l’ensemble plutôt consternant. Il y a une discrimination évidente à l’endroit des auteurs indépendants (des « sous-auteurs »). Il y a bien sûr à boire et à manger dans l’autopublication, tout comme dans l’« ancienne édition » d’ailleurs. Mais au-delà de grands succès populaires d’« Indies » anglo-saxons, je suis sûr que des chefs-d’œuvre émergeront en numérique, dans  plusieurs langues, écrits par de vrais écrivains que les éditeurs traditionnels auront rejetés. Quant aux lecteurs, je pense qu’ils sont plus ouverts. Ceux qui se sont mis au numérique en ont vu tous les avantages (choix, acte d’achat facilité, prix modérés, agrément de la lecture sur les outils ad hoc) et « font leur marché » un peu au feeling, choisissant en fonction de la couverture, du thème ou du genre, de la description, du prix. Ils sont très pragmatiques, et je crois qu’ils se moquent bien de l’absence du label d’un éditeur prestigieux.

Quel est votre regard à vous, et à votre avis, de quelle manière le courant indépendant, en littérature, pourra-t-il gagner ses lettres de noblesse ? Comment voyez-vous l’évolution de ce mode de publication ?
Regardez du côté des États-Unis : certains éditeurs traditionnels réalisent déjà 30 % de leur chiffre d’affaires avec la publication de leurs livres « papier » en numérique. Mark Coker (Smashwords) estime que le numérique représentera, l’an prochain, 50 % du chiffre d’affaires de l’industrie du livre. Ce qui signifie, vu que les prix des ebooks sont très inférieurs à ceux des livres papier, que le nombre de leurs ventes sera bien supérieur à 50 %. Le livre imprimé ne mourra pas, mais peut-être deviendra-t-il vraiment,  comme le prédisent des auteurs comme Joe A. Konrath et Barry Eisler, un marché de niche (10 % d’ici une dizaine d’années, selon Coker).
Je ne sais pas combien de temps cela prendra en France et en Europe, où l’adoption du numérique peine un peu («grâce » notamment à de nombreux éditeurs traditionnels, qui font tout pour le freiner). Mais aux États-Unis, le New York Times inclut depuis  pas mal de temps les ebooks indépendants dans sa liste des best-sellers. Et voici quelques semaines, il a présenté pour la première fois un essai autopublié dont il a loué la qualité, The Revolution was televised, sur la manière dont l’évolution de la société américaine était illustrée (ou pressentie) par les séries télévisées. Le Wall Street Journal, au sujet de ce même livre, avait écrit que « le meilleur de l’autopublication peut rivaliser aujourd’hui avec le meilleur de l’édition traditionnelle. » Le jour où Le Monde, le Masque et la plume et la Grande librairie feront le même constat au sujet d’un livre francophone indépendant, ce sera gagné ! Mais aussi – et surtout – les auteurs indépendants doivent publier de bons livres, d’excellents livres. Pas simplement des livres parce que tout le monde peut désormais le faire. Tout le monde ne devrait peut-être pas le faire. L’autopublication est une chance formidable pour tous ceux et toutes celles qui non seulement ont de bonnes idées, mais qui parviennent à les concrétiser aussi bien que les auteurs reconnus de l’édition traditionnelle. À l’inverse, l’autopublication pourrait bien être le cimetière des œuvres objectivement impubliables.

Reviendrez-vous un jour dans l’édition traditionnelle ?
Non. Carrément non. Même si un de mes livres devait cartonner un jour en numérique et qu’un éditeur traditionnel veuille le « récupérer ». Dans une telle hypothèse, un auteur indépendant doit tirer le meilleur parti de ses droits : laisser ce livre sur les plates-formes numériques où il est disponible pour l’exploiter lui-même, accorder des droits à des éditeurs « poche » étrangers pour d’éventuelles traductions, encaisser le jackpot si le bouquin séduit Hollywood (faut bien rêver un peu, non ?), sans avoir à tout partager à 50-50 avec un éditeur traditionnel qui n’aura peut-être rien fait pour tout ça.

Votre prochain roman paraît-il bientôt, pouvez-vous déjà nous en parler ?
Il y aura un autre roman, mais plus tard. Bientôt, ce sera dans le courant d’avril, et je ne sais pas comment décrire ce truc autrement que par « récit ». Titre : Un printemps sans chien. Moi et mon chien, mort voici un peu plus d’un an… Moi et mon nouveau chien depuis juillet dernier… Nous et les chiens… Avec des ex-cursus dans la littérature, notamment chez Rick Bass et Jim Fergus, dont les expériences avec ces canidés peuvent être très inspirantes à divers égards. Jim Harrison aussi, qui a dit qu’il « aimait sa chienne comme une femme » (ce qui ne veut pas dire qu’il prend sa femme pour une chienne…). Et – inattendu – chez  John LeCarré, qui a dédié un de ses romans à X, « qui m’a prêté un chien ».  Fallait-il que ce soit important pour justifier ces mots publics, qui suggèrent gratitude et reconnaissance. Oui, les chiens, ça peut être important.

Pour tout savoir sur les dessous, l'origine, et l'inspiration de "La Légende de Little Eagle"

29 mars 2013

Jennifer Richard : auteur dystopique mais pas pessimiste pour autant



Avec Bleu poussière, Jennifer Richard a été lauréate 2007 de la Résidence Robert Laffont du premier roman consacrée à la littérature fantastique. Elle a publié, en 2010, un deuxième roman intitulé Requiem pour une étoile, toujours dans le fantastique. Puisque nous sommes en 2013 et que cet auteur semble sortir un roman tous les 3 ans, son nouvel opus paraîtra à la fin de l'année. Mais cette fois-ci, Jennifer  Richard change de registre. De toute façon, pour elle, les classements en genres sont réducteurs et l n'existe au fond qu'un seul genre : la littérature.

Peux-tu nous parler de tes deux premiers romans et nous dire dans quelle catégorie les classer ?
En 2006, j’ai participé à un concours organisé par les éditions Robert Laffont sur le thème de l’écriture fantastique. Je me suis donc pliée à l’exercice, alors que ce que j’écrivais jusqu’alors ne relevait absolument pas de ce domaine. J’écrivais des nouvelles très ancrées dans la réalité. Mais, contre toute attente, je me suis beaucoup amusée. Quand on veut dire des choses et quand on aime écrire, peu importe que l’action se situe au Moyen Âge ou dans un futur lointain, on arrive toujours à exprimer ce que l’on veut. D’ailleurs, pour me conformer au thème imposé, j’ai choisi le biais de la science-fiction, et en particulier de la dystopie, qui n’est qu’une façon détournée de parler de la société actuelle en imaginant la façon dont elle pourrait évoluer en fonction des choix effectués.
En reprenant un mauvais rêve que je faisais régulièrement, j’ai imaginé le début de mon roman : un jeune homme rentre chez lui après une soirée arrosée et, sans bien se rendre compte que quelque chose se produit durant la montée de l’ascenseur, se retrouve dans une société différente de celle qu’il connaissait. Chez lui, des inconnus ont remplacé ses parents. Des inconnus ont remplacé tous ses voisins. Dans la rue, l’ordonnancement des bâtiments n’a pas changé de manière flagrante, mais suffisamment pour qu’il perde pied. Le plus étonnant est que tout le monde, tout le temps, sourit. Pour retrouver son foyer, il sera contraint de mener une enquête de longue haleine, d’autant plus périlleuse que le simple fait de manifester son inquiétude risque de le trahir et qu’il occupe, dans cette société étrange, une fonction de premier plan.
Rapidement après en avoir terminé la rédaction, la trame de mon deuxième roman m’est venue en tête, et, sans que je l’aie vraiment décidé, il s’agissait de nouveau de la description d’une dystopie. Cette fois-ci, c’est un documentaire sur Anthelme Mangin, le soldat inconnu de Rodez, qui m’a inspirée : un homme descend du train après un long voyage et une longue absence, sans avoir le moindre souvenir de la vie qu’il menait auparavant. Qui est-il ? Quels rapports entretenait-il avec sa femme et ses fils jumeaux ? Pourquoi les deux garçons semblent-ils tant craindre leur mère ? C’est un roman choral qui donne la parole tour à tour à l’inconnu du train, puis à une jeune femme qu’il a rencontrée lors de son voyage, et enfin à son épouse, qui dénouera toute l’intrigue.
Ces deux romans sont proches par leur thème, mais également par les sentiments exprimés. Il s’agit dans les deux cas de personnages seuls et malades. Ce sont des thrillers psychiatriques, en quelque sorte.

Il semblerait que tu changes de genre pour ton prochain roman à paraître. Que raconte-t-il ?
En effet, alors que j’avais en tête d’écrire une trilogie dystopique et que j’avais entamé un troisième roman dans la veine des deux précédents, j’ai préféré mettre ce projet de côté. Je ne le sentais pas. Comme si les personnages ne voulaient pas me parler. J’ai ensuite écrit un roman à quatre mains avec une amie, exercice qui nous a beaucoup plu, bien que le roman, avec le recul, ne nous semble pas à la hauteur de nos ambitions.
Un autre projet a mûri d’un coup, après cela. Alors que j’observais mon mari dans la rue, et que je remarquais que plusieurs personnes le regardaient, j’ai imaginé l’histoire d’un homme qui, depuis sa naissance, attire sur lui tous les regards, en toute circonstance. Centre d’attention de toute la famille dès ses premiers jours, il est sans cesse prié de chanter, danser pour divertir l’assemblée ; durant sa scolarité, les instituteurs, les professeurs ne voient et n’interrogent que lui, les journalistes réalisant un micro-trottoir l’arrêtent immanquablement dans la rue, on l’accuse injustement d’avoir rayé la portière de la voiture, de ne pas avoir rappelé, on le prend pour le voisin, le cousin, le boulanger, le pharmacien, on le prend pour un homme politique, pour une star de cinéma, un chanteur populaire. Et pour tout le monde, son nom résonne de manière familière, puisqu’il s’appelle Félix Fort.
Mais le jeune Félix ne prend la parole qu’après son grand-père, également nommé Félix Fort, nom qui, sous la IIIRépublique, a une toute autre résonnance. Le vieux Félix, à l’inverse, a souffert toute sa vie de n’être jamais remarqué, vu ni entendu. Il a passé sa vie à faire tapisserie, même au sein de son propre foyer. Cette particularité, qui lui a valu de traverser la boucherie de la Première Guerre mondiale à peu près sain et sauf, l’a également muré dans une solitude à l’origine de moult inventions passées inaperçues.
À travers le destin de ces deux hommes se dessine également une histoire de la France, de 1896 à 2012.
Ce roman, pour lequel mon mari m’a apporté une grande aide, par ses suggestions et ses idées, est celui qui me tient le plus à cœur, car c’est celui dans lequel j’ai pu exprimer la plus grande variété de sentiments, et c’est ce que je recherche, en écrivant, comprendre tous les sentiments, en fonction du point de vue que l’on adopte face à une situation donnée. C’est également un roman moins sombre que les précédents, tout en étant, je pense, plus profond.

Que penses-tu de la pertinence des classements en genre littéraire, en dehors du fait que ça arrange les libraires pour étiqueter leurs rayonnages ?
Je pense que l’avis d’un libraire serait plus pertinent que le mien. Pour ma part, je trouve dommage de classer les romans par genre. Car si on parle de littérature générale, c’est forcément avec une pointe de condescendance que l’on appréhende la littérature de genre. Certains grands classiques parviennent à se glisser dans les rayonnages nobles de la littérature générale, tels bien sûr les écrits fantastiques de Maupassant ou Balzac, l’œuvre de Wells, Huxley, Orwell… mais la plupart du temps, les grands auteurs de littérature fantastique ou policière sont classés à part. Si on ne se montre pas très curieux, on risque ainsi de passer à côté de Lovecraft, Matheson, Azimov pour le fantastique, à côté de Simenon, Chandler, Himes pour le polar…

Quelles sont tes influences, tes références, littéraires aussi bien que musicales, cinématographiques, etc. ?
En matière de littérature, je m’efforce de goûter à tout, pour m’enrichir, pour apprendre. Je suis régulièrement étonnée de la liberté de l’écrivain. Tout est possible, en littérature, on peut écrire sur tout, de toutes les façons. Mais les romans qui m’ont le plus bouleversée sont les récits de guerre, en particuliers les écrits sur 1914-1918, qui ont apporté beaucoup de changements dans la façon d’écrire, avec un style souvent sobre, incisif, sans tabou, sans sensationnalisme, toujours à la première personne, indémodable. Le plus beau, selon moi, et l’un des moins connus est La peur, de Gabriel Chevallier, auteur surtout célèbre pour Clochemerle. J’ai été marquée par les romans de Pierre Schœndoerffer, de Jean Hougron, sur l’Indochine. Par Soljenytsine, Koestler, Kundera, Gheorghiu, Leon Uris, Primo Levi sur les régimes totalitaires. J’ai voyagé à travers le monde avec les romans de Somerset Maugham et Graham Greene. J’ai ri avec Boris Vian, Romain Gary (si, si, certains passages sont très drôles), David Lodge. Je me suis imprégnée de culture créole (ma mère est guadeloupéenne) avec Dany Laferrière, Gisèle Pineau, Simone Schwarz-Bart, Patrick Chamoiseau… Je me nourris de tout ce que je lis, et je suis un peu moins ignorante à chaque livre que je referme. L’écriture est selon moi la plus importante des inventions de l’homme. C’est l’écriture qui marque le début de l’Histoire, c’est l’écriture qui permet la reconnaissance des actions de l’homme, des plus belles aux plus désastreuses.
Je ne suis pas fermée à d’autres formes d’expression. Adolescente, je me voyais réalisatrice, avant de revenir à ma passion première, celle de l’écriture. Le film qui a éveillé ma passion pour le cinéma a été Terminator II, qui demeure mon film culte. Attention, ce n’est pas mon film préféré. Un film culte, c’est différent, c’est une notion empreinte de nostalgie et étrangère à toute critique que la maturité pourrait révéler.  Mes films préférés sont ceux de Terrence Malick. Disons que dans mon top 10 des meilleurs films, il y en a quatre des six qu’il a réalisés à ce jour, avec en tête Le Nouveau Monde. Dans ce palmarès figurent également L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford, There Will Be Blood, Apocalypse Now, Voyage au bout de l’enfer, Les Sentiers de la gloire. Un outsider, aussi, avec Freaks, de Tod Browning.
Quant à la musique… je dois avouer que je ne suis pas une mélomane, au sens commun du terme. Je ne pourrais pas me passer de lire, je pourrais difficilement me passer de films, mais je pense que je pourrais me passer de musique. Je ne dis pas que je n’aime pas la musique, mais je ne me déplace pas avec un baladeur (on dit plutôt MP3, non ?), je ne mets pas la musique à fond pendant que je me prépare pour aller au travail, je ne cours pas après les concerts… à l’exception toutefois des concerts de metal, pratiquement le seul genre qui me fait vibrer (j’aime également la musique classique, mais je ne m’y connais pas suffisamment pour affirmer cela en public). Inutile de citer les groupes que j’écoute car, à part Metallica et System of a Down, leur nom ne dirait rien à personne (Children of Bodom ? Arch Enemy ? In Flames ? Kalmah ?).
Pourtant, c’est toujours (j’ai bien conscience que le mot « toujours » est trop grand pour une « œuvre » pour l’instant aussi courte que la mienne) une musique qui rythme la trame de mes romans. Pour le premier, ce fut Welcome Home (Sanitarium), de Metallica. Pour le deuxième, ce fut Les Dingues et les Paumés de H.-F. Thiéfaine, une des plus belles chansons françaises, selon moi. Pour le troisième, La Foule, chantée par Edith Piaf. Je ne suis pas si fermée, tout compte fait.

De quelle manière travailles-tu, quelles sont tes habitudes, tes petites manies ?
Je ne vis malheureusement pas de mes romans. J’ai bon espoir, cela dit, que cela arrive un jour. Entre-temps, je partage l’année entre le métier qui me fait vivre (je suis documentaliste pour la télévision) et l’écriture. Dans la mesure du possible, je consacre quelques mois dans l’année à mes romans. Alors, j’écris entre six et huit heures par jour, en m’astreignant à des horaires de bureau. La discipline est primordiale. On peut avoir du talent, mais sans discipline, il n’en ressortira rien. Je ne sais pas si j’ai le talent, mais il est certain que j’ai la discipline.

Que penses-tu des auteurs indés et comment vois-tu l’avenir du courant indé en littérature ?
Je vois d’un bon œil la facilité dont vont de plus en plus bénéficier les auteurs indépendants, grâce à l’édition numérique. Ce sera à mon avis bénéfique pour les petits éditeurs, ainsi que pour les auteurs n’ayant pas trouvé d’éditeur. J’espère qu’en matière d’édition Internet remplira l’une de ses ambitions premières, celle de créer un espace infini de libertés. Mais la liberté et la facilité d’expression entraînent malheureusement une cacophonie dont les véritables auteurs devront s’extraire pour être crédibles. Quand tout le monde parle, on n’a plus envie d’écouter personne. Il faut éclairer ceux qui ont vraiment des choses à dire.

Quels sont tes projets ?
J’ai actuellement deux projets de roman en tête. Le premier sur la famille, sujet maintes fois abordé et pourtant fascinant et inépuisable. Je voudrais plus précisément aborder la question du point de vue. Le second serait, mais c’est encore très flou, une fresque familiale qui se déroulerait en Guadeloupe.

Que lis-tu en ce moment ?
Notre-Dame du Nil, de Scholastique Mukasonga. Son écriture, limpide et tranchante, rend compte sans artifice des horreurs subies au Rwanda. Elle a la fêlure et la force de ceux qui ont écrit la guerre.

Pour en connaître davantage sur les œuvres de Jennifer Richard, consultez sa page auteur.

22 mars 2013

Gilbert Gallerne : la publication indépendante au secours des œuvres épuisées


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Gilbert Gallerne est auteur et scénariste. Il est publié professionnellement depuis l'âge de 18 ans, sous divers pseudonymes (dont Gilles Bergal et Milan), et compte aujourd'hui plus d'une vingtaine de titres à son actif.
Il s'est distingué chez des éditeurs tels que Fleuve noir, Flammarion, Belfond, Baleine. Cependant, cet écrivain reconnu a récemment décidé de se publier en auteur indépendant et nous explique son choix en précisant qu'il n'est pas seul dans ce cas.
Dans un entretien passionnant, au cours duquel il analyse parfaitement le système en place, il nous fait partager son expérience de la publication en indé.

Vous avez obtenu le prix du Quai des Orfèvres en 2010 pour Au pays des ombres. Mais avant de vous adonner au polar, vous vous êtes illustré durant plusieurs années dans le fantastique. Qu’est-ce qui a motivé ce changement de genre, et est-il définitif ?
Le changement a été motivé par une envie d’essayer quelque chose de plus difficile : quand on écrit du fantastique, il est relativement aisé de créer un suspense et d’effrayer le lecteur qui est venu pour ça et qui partage toute une mythologie. On écrit « vampire », et chacun se demande où il a bien pu ranger ce fichu crucifix qu’on lui a donné à sa première communion… Mais effrayer le lecteur et le tenir en haleine avec des moyens « naturels » me paraissait plus difficile, c’était un défi. C’est pour ça que beaucoup d’auteurs de prétendus « polars » se contentent de pondre des histoires de serial killer l’une après l’autre : c’est devenu le croque-mitaine moderne, le prédateur du XXIe siècle. Réécrire cent fois la même histoire ne m’intéresse pas : si vous prenez mes thrillers policiers, vous trouverez une intrigue et des personnages différents à chaque fois. Et cela me donne totalement satisfaction. Cela dit, si je croise une bonne idée de roman fantastique, je n’hésiterai pas une seconde.

Vous affichez au compteur 15 romans, 4 recueils de nouvelles, 5 documents et essais, 7 traductions et 3 participations à des collectifs, tous publiés chez des éditeurs traditionnels. Cependant, depuis quelque temps vous publiez vos romans en auteur indépendant. Qu’est-ce qui vous a conduit à l’indépendance ?
L’indépendance est toute relative : j’ai encore quelques romans qui sont gérés par des éditeurs traditionnels, dont mon dernier, Les Salauds du lac, qui est une aventure du Poulpe, publié par Baleine, fin 2012. Je dirais donc que je joue sur les deux tableaux : j’ai recours aux services d’un éditeur lorsqu’il peut m’apporter un plus, comme c’est le cas en matière de diffusion pour un ouvrage papier, mais je préfère gérer moi-même lorsque l’éditeur ne m’apporte aucune valeur ajoutée, et c’est exactement le cas du numérique à l’heure actuelle.

Quels avantages voyez-vous à publier vos livres de façon indépendante, comparativement à une publication par un éditeur traditionnel ?
Comme je viens de le dire, pour le papier, l’éditeur traditionnel garde encore une longueur d’avance, du fait du réseau de distribution. En revanche, en matière de numérique, les avantages penchent nettement en faveur de l’indépendance. Déjà, l’auteur peut décider du prix de vente du livre. Or on sait que les éditeurs traditionnels ont une politique tarifaire délirante, qu’ils prétendent même qu’un livre numérique revient plus cher à « fabriquer » qu’un livre papier… Ce qu’ils veulent surtout, c’est protéger leurs collections de poche. Et donc ils fixent des prix pour le numérique qui sont ridicules : on a même vu des livres numériques plus cher que l’édition papier grand format ! Je pense quant à moi qu’un bon prix pour un livre numérique est un prix qui prend en compte l’aspect éphémère et dématérialisé de « l’objet » ; en numérique, vous ne pouvez pas transmettre votre achat, c’est juste de la lecture. Quand on achète un livre papier neuf, on peut le revendre environ la moitié du prix d’achat, donc je considère que le prix de la lecture c’est cinquante pour cent du prix d’origine. Partant de là, le prix d’un e-book sortant en même temps que le grand format vendu 19 euros devrait être de l’ordre de 10 euros, et quand il s’agit d’une édition disponible en poche, on devrait tomber à quatre ou cinq euros. Ce qui explique que mes ouvrages sont en général proposés à 4,99 €. Je ne pense pas qu’il faille descendre trop bas : cinq euros est un prix raisonnable, j’estime que les auteurs qui bradent leurs livres à 99 centimes font une erreur et se tirent une balle dans le pied, en même temps qu’ils tirent dans le dos de leurs collègues. On ne gagne jamais rien sur le long terme en se dévaluant, en revanche, on fausse le marché en laissant croire à l’acheteur que le prix normal c’est 99 centimes. Or, si on veut conserver un certain aspect professionnel au métier d’écrivain, il faut que l’auteur d’un livre puisse en tirer un revenu suffisant pour rémunérer le temps passé à créer. Sinon on arrive à dévaluer le statut de l’auteur qui devient un dilettante dont l’activité première doit être autre. Tout le monde y perd : l’auteur, qui doit passer la semaine à bosser dans un domaine qui ne l’intéresse pas, simplement pour pouvoir manger, et le lecteur qui s’étonne soudain que son auteur préféré ne puisse pas sortir un roman aussi souvent qu’auparavant depuis qu’il doit cantonner ses séances d’écriture aux week-ends !
Donc, choisir son prix, c’est le premier avantage, mais encore faut-il en avoir conscience. Il y en a d’autres, comme par exemple le fait que choisir son prix de vente permette également de choisir la somme qui va vous revenir. Et d’en conserver l’intégralité. Il faut savoir que la plupart des éditeurs ne gèrent pas leurs livres numériques en direct mais passent par des officines spécialisées qui ponctionnent une part du prix de vente et que ce qui reste est ensuite partagé avec l’auteur, à qui on propose généralement un pourcentage ridicule, de l’ordre de 5 % sur le prix de vente hors taxe… À comparer avec les 70 % que vous pouvez obtenir d’Amazon lorsque vous travaillez en direct.
Un autre avantage est d’avoir la main en ce qui concerne la couverture. En général, je n’ai pas eu à me plaindre de celles que me « proposaient » les éditeurs papier, mais il faut bien voir qu’en matière d’édition traditionnelle si on vous demande votre avis sur la couverture, c’est juste pour vous entendre dire que c’est bien. Les rares fois où j’ai émis quelques doutes sur une illustration, on m’a gentiment fait comprendre que ce n’était pas mon domaine et qu’on savait ce qu’on faisait…

Quelles sont les inconvénients ?
Le gros inconvénient que mettent en avant les adversaires de l’édition indépendante, c’est l’absence d’édition, justement. Personne n’est là pour relire votre manuscrit ni vous guider. Mais il faut tempérer cet argument : d’abord, les conseils que vous prodiguent les éditeurs ne sont pas toujours à votre avantage. On sait que Faulkner et Lovecraft, par exemple, avaient subi des réécritures de la part de leurs « editors » ; je ne pense pas que les anonymes qui corrigeaient leurs œuvres étaient forcément mieux placés qu’eux pour juger. Sans aller jusqu’à me comparer à ces deux illustres modèles, mon exemple personnel est assez parlant : j’ai pour l’instant principalement publié en numérique des rééditions d’ouvrages publiés dans le passé et épuisés. Afin de profiter de ces corrections, je scanne le texte publié qui est donc censé avoir été lu, relu, corrigé et recorrigé par une foule de gens. Cela ne m’a pas empêché pour trois ou quatre de mes livres d’y découvrir des fautes élémentaires de grammaire qui m’avaient échappées à l’époque, mais qui surtout avaient reçu l’imprimatur ! Et il ne s’agissait pas de petits éditeurs mais de grandes maisons dont je tairai le nom, les gens responsables de cette « édition » de mes ouvrages n’étant plus en place aujourd’hui. Cette expérience m’a amené à relativiser sérieusement ce que l’on pouvait attendre de l’apport d’un éditeur.
Les autres inconvénients sont d’ordre logistique : éditer, c’est un métier, et l’auteur qui procède seul à l’édition de ses livres doit coiffer plusieurs casquettes qui vont de typographe à maquettiste et illustrateur le cas échéant. Personne ne peut prétendre avoir tous les talents, et il est alors judicieux de recourir à des aides extérieures.
Et enfin, il reste la question des SP : comment faire connaitre son livre si on ne peut pas envoyer de service de presse ? Dans le cas des auteurs qui, comme moi, ont déjà un lectorat, ce n’est pas vraiment un problème : les livres trouvent leur public. Mais j’avoue que pour l’auteur débutant cela doit être difficile.

Quelles difficultés rencontrez-vous, d’ordre technique ou autre ? Que pensez-vous des différentes plates-formes ?
La première difficulté, c’est le temps. Le scan ne fait pas tout, et il faut relire le texte à la recherche des coquilles, puis il faut le calibrer en fonction des spécifications de telle ou telle plate-forme, en suivant des indications en anglais. Pour moi l’anglais n’est pas un problème, mais je comprends que ce soit une barrière pour nombre d’auteurs français.
Cela dit, nous en sommes aux balbutiements de cette nouvelle technologie, et on commence à voir apparaître en France des offres d’« intégrateurs » du type Smashwords, ces offres vont se multiplier, et d’ici deux ans on trouvera trois ou quatre grandes maisons capables de gérer les titres français.
Les différentes plates-formes, du moins celles que je pratique, ont toutes leurs particularités, mais une fois que l’on a compris leur fonctionnement c’est assez simple et rapide. La plus facile à aborder est certainement Amazon KDP, d’abord parce qu’elle est en français. Ensuite, elle est très aisée à manipuler : les pages sont claires, le produit fini apparaît rapidement en ligne, et les restitutions sont le grand plus de ce support. Vous pouvez suivre vos ventes au jour le jour, presque heure par heure, et votre positionnement dans les « charts ». Donc, pour un auteur qui veut s’aventurer dans le royaume du numérique, Amazon KDP est la porte d’entrée évidente.
Ensuite, je bascule mes titres sur Smashwords, qui est un intermédiaire : vous formatez votre texte selon leurs indications, et ils le proposent à tous les diffuseurs (Amazon, Apple, Barnes & Nobles…). Là, les difficultés commencent. Le site est en anglais, et si l’on souhaite être diffusé sur toutes les places, il faut que le livre numérique obtienne la certification « premium », ce qui n’est possible que si le manuscrit est irréprochable (pas de double espace, pas de changement d’alignement des paragraphes en cours de texte, etc.). Et lorsque votre texte n’est pas parfait, vous obtenez juste un message d’erreur, et vous pouvez chercher une heure avant de comprendre que c’est simplement une histoire de taquet mal positionné. Mais bon, une fois passé ce cap, votre livre est en vente sur toutes les plates-formes que couvre Smashwords.
Après quoi, lorsque mon manuscrit a passé avec succès l’examen de Smashwords, je le bascule sur Kobo, ce qui s’avère un jeu d’enfant.
Alors, pourquoi ces trois plates-formes, lorsque l’on sait que Smashwords est un intermédiaire qui propose également de vous diffuser sur Kindle et Kobo ? Tout simplement pour une question de rentabilité : Smashwords prend un pourcentage (raisonnable, mais cela reste un pourcentage) au passage, et j’estime que je peux traiter directement avec Kindle et Kobo (qui diffuse notamment auprès de la Fnac) et donc améliorer la rentabilité globale pour un investissement en temps qui peut paraître important à l’origine mais comptera peu au fil des ans.

Proposez-vous vos livres exclusivement en numérique ou également sur papier ? Comment cela se passe-t-il ?
Pour l’instant, ils sont proposés uniquement en numérique. Mais je commence à regarder sérieusement les possibilités de publication à la demande. Je vais sans doute y venir courant 2013. Il y a une certaine demande des lecteurs, notamment pour les inédits que l’on ne peut donc pas trouver en occasion.

Avez-vous une idée du regard que portent les professionnels du livre – éditeurs, auteurs, libraires, critiques, journalistes – sur les  auteurs indépendants ? Et les lecteurs, qu’en pensent-ils ?
Peut-être faudrait-il définir ce que l’on entend par « auteur indépendant » ? Je pense qu’il y a deux cas de figure : les auteurs qui ont un passé dans l’édition papier, et puis tous ceux qui arrivent aujourd’hui parce qu’ils sont jeunes, ou bien plus âgés mais rejetés par les éditeurs traditionnels jusque-là. Et je pense que la cassure se produit à cet endroit : il y a d’un côté les « vrais » auteurs, et de l’autre ceux que Robert Laffont, dans son autobiographie, appelait les « would-be writers » (« ceux qui voudraient être écrivains ») ; autrefois, ces derniers devaient persévérer, progresser dans leur coin, envoyer leurs manuscrits, se remettre à l’ouvrage, pour finir soit par trouver un éditeur, soit par abandonner, soit par tomber dans le piège du compte d’auteur, soit par recourir à l’autoédition. Très peu arrivaient à ce dernier stade, à cause du coût et de la difficulté à vendre les deux mille exemplaires qui moisissaient au sous-sol. Aujourd’hui, tout le monde peut publier un ebook, et cela ne coûte rien. Le plus fainéant des auteurs peut mettre en ligne son manuscrit sur Amazon KDP en moins de dix minutes. On comprend que certains fassent la grimace lorsqu’on leur parle d’auteurs indépendants.
À l’autre extrémité, vous avez les auteurs confirmés, comme Brussolo qui sort maintenant directement en ebooks ses romans fantastiques, faute de débouché auprès des éditeurs papier. Quand quelqu’un de l’envergure de Brussolo en arrive à autopublier ses inédits, c’est que le monde de l’édition est en train de subir une mutation profonde.
Quant aux lecteurs, vous avez les irréductibles qui jurent que jamais ils ne liront un texte sur un écran, ceux qui parlent du contact sensuel avec le papier, ce que je comprends parfaitement, mais il faut voir que les générations montantes sont plus habituées à tripoter un écran qu’un morceau de papier. C’est une évolution inéluctable, et les grognards qui refusent de le voir me font penser à ceux qui, dans les années cinquante, protestaient contre l’apparition du livre de poche sous prétexte que ce n’était pas un vrai livre, que la littérature avait besoin d’un grand format et d’être vendue cher sous peine d’être dévaluée… les mêmes arguments que l’on retrouve aujourd’hui face au numérique.

À votre avis, de quelle manière le courant indépendant, en littérature, pourra-t-il gagner ses lettres de noblesse ?
Pour gagner ses lettres de noblesse, il faudra qu’il propose des ouvrages de qualité. Le problème des indépendants, c’est que n’importe qui peut aujourd’hui publier n’importe quoi. Pour quelques exemples de belle réussite, on a surtout un gros paquet d’autoédition d’ouvrages qui n’auraient jamais vu le jour s’ils avaient été soumis à un véritable éditeur.
Il va falloir faire un tri dans tout cela, et je pense que cela passera par une prise de conscience des auteurs reconnus qui disposent de titres oubliés. Je pense notamment à tous ces auteurs du Fleuve Noir, à tous ces gens qui fournissaient les collections policières ou de science-fiction dans les années 1970 à 1990 et dont la plupart des ouvrages sont aujourd’hui introuvables. On commence à voir cela aux États-Unis, et dans une moindre mesure en France, où l’on a encore quelques années de retard, mais cela va venir. Que des gens comme Brussolo commencent à y venir est un très bon signe.

Comment voyez-vous l’évolution de ce mode de publication ?
Je pense que les auteurs confirmés dont je viens de parler vont bientôt se réveiller en réalisant qu’ils sont assis sur un trésor sans en avoir conscience. Lorsqu’ils comprendront qu’ils peuvent financer une partie de leur retraite en ressortant ces titres, on va voir déferler une vague d’auteurs confirmés. Cela commence à se produire aux USA, où les auteurs des pulps réapparaissent avec leurs titres épuisés et quelquefois des inédits. Bientôt, tous les titres épuisés seront à nouveau disponibles. De toute façon, les auteurs ont intérêt à ressortir leurs livres s’ils ne veulent pas les voir numérisés sauvagement dans le cadre de la loi sur la numérisation des « œuvres indisponibles » : ces mêmes éditeurs qui n’exploitent plus leurs livres auront le droit d’encaisser les royalties du numérique en leur nom et de leur jeter quelques miettes ; cela vaut peut-être la peine de se pencher sur la question. Les auteurs ont la chance aujourd’hui de pouvoir prendre leur vie en main, il serait dommage qu’ils n’en profitent pas.
Et puis bien sûr, il y a quelques success-stories comme celle de Barbara Freethy qui vont commencer à faire réfléchir les autres : cet auteur américain qui ne parvenait pas à faire rééditer ses anciens titres a décidé de les mettre elle-même en ligne. Elle est à plus de deux millions d’exemplaires vendus, et tous ses nouveaux titres sortent directement en numérique. Quand on verra des gens comme cela remporter de grands succès, les opinions évolueront. On commence d’ailleurs à voir de plus en plus d’auteurs à succès qui se réservent les droits numériques (le cas de JK Rowling me vient à l’esprit).

Pouvez-vous nous présenter le dernier roman que vous proposez en auteur indépendant ?
J’ai mis en ligne en 2012 sur Amazon KDP un roman inédit intitulé Liés par le sang. C’est l’histoire d’un jeune couple, Éric et Élise ; ils sont au chômage tous les deux, en fin de droit, il est handicapé, elle est enceinte, ils n’ont d’autre solution que de demander l’asile à la famille d’Éric qui l’a rejeté lorsqu’il avait cinq ans. Ils arrivent donc dans une scierie au bord de la faillite, au plus profond des Vosges. L’accueil est plutôt froid, mais Éric ne pense qu’à une chose : gagner l’amour de sa mère et de ses frères, s’intégrer dans cette famille qui lui a tant manqué. Élise voit la situation un peu différemment. Les frères lui font peur, et elle ne pense qu’à une chose : partir au plus vite. Quand elle parvient enfin à convaincre Éric, il est trop tard : ses frères l’ont entraîné trop loin, et il n’a plus d’autre choix que de les suivre.
Pour l’instant il n’est disponible que sur Kindle, mais je vais bientôt le proposer sur les autres plates-formes. Ce roman marche très bien, et les notes qu’il a récoltées sur Amazon sont des cinq-étoiles… Pas mal pour un livre publié « sans éditeur ».

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