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25 novembre 2012

Boule à Z et cœur à vif


On pourrait croire que les skinheads sont des gros footeux de base, hooligans, fachos et décérébrés, bercés à l’ultraviolence, nourris à la haine raciale et abreuvés au jus de houblon. Faux, affirme John King dans son sublime roman « Skinheads ». John King, c’est un peu le Zola de la classe ouvrière britannique. Il nous livre là une chronique poignante et toute en finesse, dans laquelle trois hommes, issus de trois générations, représentent chacun un aspect différent de cette subculture, tout en s’acharnant à en perpétrer pareillement la tradition et les valeurs. Et contre toute attente, celles-ci gravitent davantage dans le bourge pépère que dans le nihilisme décadent. Terry, le père, 50 ans, dirige son entreprise de minicabs et réhabilite un pub, l’Union Jack Club. Il ne se remet pas de la mort de sa femme, il y a déjà 10 ans, reste aveugle et sourd aux gestes d’amour de sa superbe secrétaire et se bat contre un cancer qui menace de l’emporter d’ici peu. Il ne se bat pas pour lui, mais pour ses gosses, qu’il trouve injuste de laisser orphelins. Son fils, Lol, tente de trouver sa place dans la vie et dans sa peau d’ado tout en marchant dans les traces de son père (et les Doc Martens, ça laisse des empreintes énormes). Ray, le neveu, pète un câble quand des dealers vendent de l’ecsta à sa fille, à la sortie du collège. Vous me direz, ça ne fait pas une histoire. Si. Et une qui vous prend aux tripes, encore. L’histoire du temps qui passe, des rêves inaccomplis, des idéaux piétinés, des types qui essaient de s’en sortir avec ce qu’ils ont et qu’on fait passer pour ce qu’ils ne sont pas. L’histoire d’hommes durs mais attachants. Écrite dans un style éblouissant de justesse et de simplicité, qui va droit au cœur et qui continue de vous le pincer, une fois le livre refermé.
(Article paru dans Service littéraire en juillet 2012.)

Skinheads, de John King, traduit de l’anglais par Alain Defossé, Au diable vauvert, 408 p., 22 €.

21 novembre 2012

La mémoire d'Adrien


Loin de la soupe fadasse et réchauffée qu’on nous sert à chaque rentrée littéreuse et pour tout l’automne, les éditions Lunatique proposent toujours, toutes saisons confondues, des choses qui tiennent au corps, de vrais beaux livres avec de vrais beaux morceaux de littérature dedans. Chez eux, les lignes (éditoriales) bougent. Denis Tellier en est le parfait exemple, qui nous émeut et nous remue dans tous les sens grâce à l’histoire d’Adrien, pauvre type des Ardennes, revenu de 14-18 la tête à l’envers, prisonnier à jamais de ses souvenirs et transformé en idiot du village. Un village dans lequel chacun s’est embarqué pour un long voyage au bout de l’ennui, dans lequel on tue le temps comme on peut avant qu’il ne nous tue lui-même et duquel disparaît un jour celui qu’on appelle le Vieux, figure tutélaire de ce trou perdu dans les limbes. Adrien devient aussitôt le bouc émissaire idéal. Puisque nous sommes chez les taiseux, l’auteur ne gaspille pas inutilement sa salive pour expliquer de quelle manière tout ça finira. Juste bien plantés, quelques mots qui font mouche, d’autres qui font mal, d’autres encore qui font rire, voilà le style épuré et poétique de Tellier. C’est qu’il est aussi sculpteur, l’artiste. Alors, il fait subir à la langue ce que la guerre et le climat ont fait subir aux hommes ; il la burine, il la tabasse, il la martèle, il la bouscule, il la malmène, il la taille, il la tiraille, il la distord, il la creuse, il la dégraisse, il l’assèche. Et là où les hommes s’abiment, la phrase de Tellier se réduit à l’essentiel, se sublime, prend une patine incroyable. Du sang des tranchées mélangé à la boue des campagnes, ce ciseleur de mots, alchimiste sur les bords, parvient à faire de l’or.
(Article publié dans Service littéraire en octobre 2012.)

Adrien de la vallée de Turroch, de Denis Tellier, Lunatique, 140 p., 14 €.

18 novembre 2012

Euh… dans l'« Oh… »


Djian n’a jamais rien raconté d’extraordinaire, c’était la manière dont il racontait qui était extraordinaire. Ses vrais fans, ceux de la première heure, ne s’attachaient qu’à son écriture, qu’à son style, qu’à sa musique. Et si par le passé il balançait un rock plutôt heavy, il crachote depuis sa période post-Barrault une variète tiédasse. C’est sa stratégie pour séduire une certaine critique qui le vomissait dans les années 1980 et qui, grâce à ce retournement de veste, l’encense aujourd’hui. Les ex-groupies, dont je suis, encaissent difficilement. Et se désespèrent de le voir se fendre, lui aussi, de son porno pour « manman », qui pourrait s’intituler Cinquante nuances d’ennui. La manman en question, caricature de bobo – presque un pléonasme –, dirige une boîte de prod à Paris et aime trop se faire violer par son voisin, les jours où elle ne couche pas avec le mari de sa meilleure amie. Hyper hype, voyez ? Les personnages, l’histoire et les situations sont tous plus ridicules les uns que les autres, et tout s’embrouille de manière à ce que le lecteur ne se rende pas compte de la supercherie. Raté. On n’est pas dupe. Non seulement Djian n’a plus rien à dire, mais il le dit mal. Les histoires de quéquette de cette productrice sentent la naphtaline, quand ce n’est pas le bromure. Les problèmes de couple de son grand gland fils nous en touchent une sans faire bouger l’autre. Et le passé de mass killer de son père tombe comme un poil de cul dans la soupe. Quel gâchis ! Quel dommage ! Philippe, reviens ! Décidément, avec tout ce qu’elle nous a proposé en la matière, la rentrée se la joue vraiment petite bite. Seul point positif, ça donne furieusement envie de relire Sade.
(Article paru dans Service littéraire en novembre 2012)