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5 avril 2013

Entre chiens et cougars : la patte de Florian Rochat


DR

Florian Rochat est un ancien journaliste de presse écrite, de radio et de télévision. Il a publié deux ouvrages chez des éditeurs traditionnels, La Saga du boulot (Favre, 1986) et Cougar Corridor (Le Passage, 2009).
Cependant, il a décidé de publier son nouveau roman en auteur indépendant. Il explique pour quelles raisons, selon lui, l'édition numérique et indé n'apporte que de bonnes choses aux lecteurs comme aux auteurs. Ce qui n'exclut pas la possibilité de proposer ses livres en version papier pour ceux qui restent réfractaires aux liseuses et tablettes.  




Parlez-nous de votre dernier roman en date, La Légende de Little Eagle.
C’est une longue histoire. Voici une dizaine d’années, alors que je traquais des lions de montagne dans le Montana, pour les besoins de mon premier roman, Cougar Corridor, je suis tombé sur une lettre, dans un petit musée indien. Le courrier était posté de Mardeuil, en 1947. L’auteur s’adressait aux parents d’un jeune pilote américain qui avait évité un désastre à ce village en 1944. Il était resté jusqu’au bout aux commandes de son appareil endommagé pour ne pas s’écraser sur ses maisons, et avait ainsi trouvé la mort, alors qu’il aurait pu sauter en parachute. Mais en sacrifiant la sienne, il avait sauvé plusieurs vies.
Donc un jeune gars était parti du Montana pour aller se battre en Europe et était resté en Champagne. Là-bas, au cœur des montagnes Rocheuses, cette lettre et ses implications m’avaient ému. Comment pouvait-on s’engager comme volontaire (le cas de tous les pilotes américains) pour s’en aller faire la guerre sur un autre continent, à un moment où les États-Unis n’étaient plus menacés ?
Le contenu de cette lettre m’a poursuivi durant plusieurs années. Je me disais qu’il y avait peut-être là l’idée d’un livre… mais quoi ? Puis un jour, le déclic : et si, aujourd’hui, quelqu’un héritait d’une maison épargnée par ce pilote, et – sans connaître les faits – découvrait une copie de la fameuse lettre de 1947 ? C’est ce qui arrive à Hélène Marchal, ma narratrice, dont la mère, âgée de 4 ans à l’époque, se trouvait sur les lieux (j’imagine que c’est son grand-père qui avait voulu rendre hommage à leur fils à ses parents). Sans ce pilote, Hélène n’aurait pas pu voir le jour. Du coup, elle veut savoir qui était John Philip Garreau, surnommé Little Eagle, et elle part enquêter dans le Montana pour reconstituer son histoire. La Légende de Little Eagle se déroule sur fond de guerre et d’aviation, mais pour moi, c’est un roman sur le destin et ses mystères, qui relient tous les protagonistes de cette histoire, dans le temps et dans l’espace, jusqu’au moment où Hélène Marchal croit pouvoir mettre un point final à son livre. Ultime rebondissement.

Quelles sont vos influences, vos modèles littéraires ?
Je ne crois pas être influencé par qui que ce soit, et je n’ai pas de modèles non plus. Mais un grand intérêt pour les auteurs américains. Ceux du Montana et de l’Ouest en général : Jim Harrison, Rick Bass, William Kittredge, Ivan Doig, James Welch, Norman McLean, Dan O’Brien, Louise Erdrich, Jim Fergus, mais aussi Jeffrey Eugenides, Jonathan Franzen, Michael Connelly, John Irving, Stephen King. Et un « géant » : Thomas Wolfe (à ne pas confondre avec Tom Wolf, que j’aime aussi beaucoup).

De quelle manière travaillez-vous ?
Un peu au petit bonheur… De manière intense (8 heures par jour) quand je me plonge dans un sujet. Puis plus rien pendant plusieurs mois… ou années.

Vote premier roman, Cougar Corridor, a été publié par un éditeur traditionnel, les éditions du Passage, mais vous avez choisi de publier La Légende de Little Eagle en auteur indépendant. Qu’est-ce qui vous a conduit à cette démarche ?
Je voulais confier  La Légende de Little Eagle au Passage, mais ils l’ont refusé au motif qu’ils n’aimaient pas « le rythme de l’écriture ». Bon… J’ai tenté alors ma chance auprès d’une dizaine d’autres maisons, mais sans succès. Entre-temps, j’avais suivi depuis le début de 2011 ce qui se passait aux États-Unis avec la révolution numérique de l’édition. L’idée de publier facilement, tout en gardant tous ses droits, était séduisante. Je me suis donc lancé.

Quels avantages voyez-vous à publier vos livres de façon indépendante, comparativement à une publication par un éditeur traditionnel ?
La liberté esquissée plus haut. Mais aussi un fait connu : il est très, très difficile de trouver un éditeur si on n’a pas eu un peu de succès au préalable. Presque impossible. Quatre-vingt-dix-neuf pour cent de rejets de manuscrits, dit-on, et je crois que c’est vrai. Comme le dit Mark Coker, le fondateur de Smashwords, les éditeurs traditionnels sont moins intéressés de publier des livres que d’en vendre. Donc ils misent sur les auteurs qui leur font courir le moins de risques. Aujourd’hui, pour un auteur, il est par conséquent naturel de tourner le dos à l’ancien système et de tenter sa chance en indépendant. Son livre, ses livres, occuperont sur les « étagères » des plates-formes numériques le même espace que ceux des stars de l’édition. Et ils y resteront, parce que ces étagères sont illimitées, contrairement à celles des librairies, où les livres qui se vendent modestement seront éjectés au bout de deux ou trois mois pour faire de la place à d’autres. Et mourront.

Quels sont les inconvénients ?
Un autre fait connu : la vente est difficile sur un marché francophone encore immature et assez petit. Surtout par rapport au marché anglophone : les auteurs américains ont un « bassin » domestique de 300 millions d’habitants pour tenter de trouver des lecteurs. Ce marché passe à 500 millions si on prend en compte les autres pays anglophones. Et peut-être à 800 millions si on prend en compte toutes les personnes qui, de par le monde, parlent et lisent l’anglais. Voilà pourquoi les « success-stories » de l’autoédition sont surtout anglo-saxonnes.

Quelles difficultés rencontrez-vous, d’ordre technique ou autre ? Faites-vous appel à des professionnels pour certaines compétences ? Que pensez-vous des différentes plates-formes et de la facilité pour être présent sur chacune d’elle ?
Je ne suis pas un génie en informatique, mais j’ai un ami spécialiste qui a formaté mon roman et conçu mon site. Pour la re-re-re-relecture et l’édition, une poignée d’anciens confrères journalistes et écrivains. Il faut les écouter, mais pas toujours. L’auteur doit imposer son libre arbitre au moment de faire des choix éditoriaux d’importances diverses. Et je me suis payé dernièrement une nouvelle couverture, par une graphiste professionnelle. L’ancienne, que j’avais concoctée moi-même, faisait assez amateur.
Pour les plates-formes, c’est Amazon Number One ! Le Kindle Direct Publishing est facile et efficace, l’option « échantillon gratuit » très séduisante. Pour le reste, je suis passé par Smashwords, où l’on trouve des gens très agréables et très pros, et qui distribue automatiquement les livres sur Apple, Kobo, Fnac, Diesel, Sony et d’autres, sans qu’on ait à se casser la tête avec toutes ces plates-formes.

Proposez-vous vos livres exclusivement en numérique ou également en version papier ? Comment cela se passe-t-il ?
J’ai aussi utilisé la possibilité qu’offre Amazon avec CreateSpace, donc version papier en impression à la demande. Là aussi, l’outil de téléchargement est super efficace et facile d’utilisation. Ventes plutôt marginales, par contre, mais c’est sympa de pouvoir donner son livre (de très bonne qualité à un prix très abordable) à des proches qui ne sont pas encore convertis au numérique… et de pouvoir offrir cette option à des lecteurs/clients potentiels.

Avez-vous une idée du regard que portent les professionnels du livre – éditeurs, auteurs, libraires, critiques, journalistes – sur les  auteurs indépendants ? Et les lecteurs, qu’en pensent-ils ?
Leur regard est dans l’ensemble plutôt consternant. Il y a une discrimination évidente à l’endroit des auteurs indépendants (des « sous-auteurs »). Il y a bien sûr à boire et à manger dans l’autopublication, tout comme dans l’« ancienne édition » d’ailleurs. Mais au-delà de grands succès populaires d’« Indies » anglo-saxons, je suis sûr que des chefs-d’œuvre émergeront en numérique, dans  plusieurs langues, écrits par de vrais écrivains que les éditeurs traditionnels auront rejetés. Quant aux lecteurs, je pense qu’ils sont plus ouverts. Ceux qui se sont mis au numérique en ont vu tous les avantages (choix, acte d’achat facilité, prix modérés, agrément de la lecture sur les outils ad hoc) et « font leur marché » un peu au feeling, choisissant en fonction de la couverture, du thème ou du genre, de la description, du prix. Ils sont très pragmatiques, et je crois qu’ils se moquent bien de l’absence du label d’un éditeur prestigieux.

Quel est votre regard à vous, et à votre avis, de quelle manière le courant indépendant, en littérature, pourra-t-il gagner ses lettres de noblesse ? Comment voyez-vous l’évolution de ce mode de publication ?
Regardez du côté des États-Unis : certains éditeurs traditionnels réalisent déjà 30 % de leur chiffre d’affaires avec la publication de leurs livres « papier » en numérique. Mark Coker (Smashwords) estime que le numérique représentera, l’an prochain, 50 % du chiffre d’affaires de l’industrie du livre. Ce qui signifie, vu que les prix des ebooks sont très inférieurs à ceux des livres papier, que le nombre de leurs ventes sera bien supérieur à 50 %. Le livre imprimé ne mourra pas, mais peut-être deviendra-t-il vraiment,  comme le prédisent des auteurs comme Joe A. Konrath et Barry Eisler, un marché de niche (10 % d’ici une dizaine d’années, selon Coker).
Je ne sais pas combien de temps cela prendra en France et en Europe, où l’adoption du numérique peine un peu («grâce » notamment à de nombreux éditeurs traditionnels, qui font tout pour le freiner). Mais aux États-Unis, le New York Times inclut depuis  pas mal de temps les ebooks indépendants dans sa liste des best-sellers. Et voici quelques semaines, il a présenté pour la première fois un essai autopublié dont il a loué la qualité, The Revolution was televised, sur la manière dont l’évolution de la société américaine était illustrée (ou pressentie) par les séries télévisées. Le Wall Street Journal, au sujet de ce même livre, avait écrit que « le meilleur de l’autopublication peut rivaliser aujourd’hui avec le meilleur de l’édition traditionnelle. » Le jour où Le Monde, le Masque et la plume et la Grande librairie feront le même constat au sujet d’un livre francophone indépendant, ce sera gagné ! Mais aussi – et surtout – les auteurs indépendants doivent publier de bons livres, d’excellents livres. Pas simplement des livres parce que tout le monde peut désormais le faire. Tout le monde ne devrait peut-être pas le faire. L’autopublication est une chance formidable pour tous ceux et toutes celles qui non seulement ont de bonnes idées, mais qui parviennent à les concrétiser aussi bien que les auteurs reconnus de l’édition traditionnelle. À l’inverse, l’autopublication pourrait bien être le cimetière des œuvres objectivement impubliables.

Reviendrez-vous un jour dans l’édition traditionnelle ?
Non. Carrément non. Même si un de mes livres devait cartonner un jour en numérique et qu’un éditeur traditionnel veuille le « récupérer ». Dans une telle hypothèse, un auteur indépendant doit tirer le meilleur parti de ses droits : laisser ce livre sur les plates-formes numériques où il est disponible pour l’exploiter lui-même, accorder des droits à des éditeurs « poche » étrangers pour d’éventuelles traductions, encaisser le jackpot si le bouquin séduit Hollywood (faut bien rêver un peu, non ?), sans avoir à tout partager à 50-50 avec un éditeur traditionnel qui n’aura peut-être rien fait pour tout ça.

Votre prochain roman paraît-il bientôt, pouvez-vous déjà nous en parler ?
Il y aura un autre roman, mais plus tard. Bientôt, ce sera dans le courant d’avril, et je ne sais pas comment décrire ce truc autrement que par « récit ». Titre : Un printemps sans chien. Moi et mon chien, mort voici un peu plus d’un an… Moi et mon nouveau chien depuis juillet dernier… Nous et les chiens… Avec des ex-cursus dans la littérature, notamment chez Rick Bass et Jim Fergus, dont les expériences avec ces canidés peuvent être très inspirantes à divers égards. Jim Harrison aussi, qui a dit qu’il « aimait sa chienne comme une femme » (ce qui ne veut pas dire qu’il prend sa femme pour une chienne…). Et – inattendu – chez  John LeCarré, qui a dédié un de ses romans à X, « qui m’a prêté un chien ».  Fallait-il que ce soit important pour justifier ces mots publics, qui suggèrent gratitude et reconnaissance. Oui, les chiens, ça peut être important.

Pour tout savoir sur les dessous, l'origine, et l'inspiration de "La Légende de Little Eagle"

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