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7 janvier 2013

Entretiens croisés entre Chris Simon et Laurent Bettoni [7] : l'intégrale


© Louise_Imagine, © Laurent Bettoni


Avec Chris Simon (La Couleur de l'oeil de DieuLe Baiser de la moucheMa mère est une fiction), nous nous sommes livrés à un entretien questions-réponses sur le livre numérique et sur l'autopublication, dont on s'acharne, en France, en dépit des efforts de certains et du mouvement en marche, à parler encore trop peu et surtout trop mal. Ces entretiens croisés ont été publiés en alternance sur le blog de Chris Simon, Le baiser de la mouche (questions 1, 3 et 5), et sur Écran total (questions 2, 4 et 6).

Quelles sont les raison qui t’ont conduit(e) à l’autopublication en numérique ?

Chris Simon. Une rencontre avec un auteur anglais en 2010. Quelques mois plus tard, il faisait un succès numérique et puis ensuite un désir d’aventure. J’ai senti tout de suite que c’était pour moi, même si au début l’aspect technique m’a un peu décontenancée et découragée. J’ai ressenti un sentiment de liberté immense. Je n’ai jamais trouvé très épanouissant d’attendre une réponse par courrier ou courriel de la part d’une maison d’édition pour un manuscrit que j’avais envoyé. J’insisterai même pour dire que depuis que je ne pratique plus ce sport de luxe, je vis beaucoup mieux. Ma vie d’auteur a changé. Je me sens plus sereine et j’ai balayé pas mal d’illusions et de désillusions, celles qu’on se fait quand son manuscrit est refusé sans raison précise ou élaborée.

Laurent Bettoni. Ce que j’écris est rarement consensuel, et je l’écris avec un vocabulaire extrêmement peu châtié. Si bien que mes propos et mes mots peuvent choquer ou heurter. La plupart des éditeurs ne sont pas prêts à, estiment-ils, courir ce risque. Ils ont besoin de choses plus lisses, plus formatées, plus conformes à ce qu’ils pensent correspondre au « grand public ». Un éditeur me fait mentir, cependant : Lunatique. J’ai récemment découvert avec bonheur cette sublime maison à la ligne éditoriale incroyable, osée, moderne, ébouriffante, punk et rock’n’roll. Une maison d’édition… indépendante, évidemment.
Chez tous les autres, il faut rentrer dans le moule. Concernant mes deux derniers romans, Écran total et Les Corps terrestres, on n’a pas critiqué l’écriture, mais on a reproché au premier d’être trop violent, trop bizarre, trop sombre, et au second d’être trop pornographique, trop cru, trop choquant. Je ne me compare pas à ces talents, mais les manuscrits de Sade, Miller, Bukowski, Ellis, Palahniuk et Welsh seraient-ils acceptés aujourd’hui par des éditeurs français s’ils étaient présentés par des auteurs français ? Non. Je trouve ce retour à la pudibonderie et à la censure regrettable.
Donc, ce qui m’a conduit à l’autoédition numérique – entre un roman publié chez Robert Laffont et un prochain à paraître en 2013 chez Don Quichotte –, c’est l’amour de la liberté et un rejet de la censure, surtout quand elle confine à l’autocensure de la part de l’éditeur.
Liberté de sortir mon livre à la date qui me convient, en évitant ces deux bourbiers que représentent les rentrées de septembre et de janvier. Encore un mal purement hexagonal. La fameuse exception culturelle française, sans doute.
Liberté de publier des textes dans leur version d’origine, sans lissage, sans vernis, sans édulcorant, pour les proposer aux lecteurs tels qu’ils doivent être lus. En somme, je propose, et le lecteur dispose. Et s’il n’aime pas, tant pis pour moi. Ou tant mieux, l’essentiel étant qu’il réagisse. Pour lui, qu’il aime ou non, ça reste indolore, puisque le prix de mes romans n’excède pas 3,99 euros. J’ai même une nouvelle et deux récits jeunesse à 0,89 euro chacun.
Voilà une autre liberté que m’offre l’autopublication en numérique, celle de ne pas m’enfermer dans un créneau. Je peux aussi bien écrire pour les adultes que pour les plus jeunes, ce qui n’est pas toujours permis par un éditeur, car il ne faut pas « tout mélanger, ça perd le lecteur, et donc ça plombe les ventes ». Et je peux aussi bien publier un roman de 220 pages qu’une nouvelle de 14 pages.


Quels sont les inconvénients de l’autopublication en numérique ?

Chris Simon. Aprés deux ebooks auto-publiés et un troisième chez Publie.net, je n’en vois plus vraiment. En tant que lectrice cela me permet depuis longtemps de lire en anglais et en français à moindre frais. Je connais des auteurs qui sont publiés papier chez des éditeurs. Ils ne gagnent pas plus d’argent que moi, et franchement ils n’ont pas plus de reconnaissance. Je veux dire par là qu’un premier livre reste un premier livre et que pour beaucoup d’auteurs se constituer un lectorat prend plusieurs livres, parfois toute une vie. Witold Gombrowicz ne disait-il pas : “Il y a un art pour lequel on est payé et un autre pour lequel on paie. On paie avec sa santé, ses commodités et caetera et caetera”

Laurent Bettoni. J’en vois deux, majeurs : le manque de crédibilité et l’absence de visibilité.
Les auteurs indépendants sont considérés comme des sous-auteurs qui produisent de la sous-littérature pour des sous-lecteurs. C’est parfois vrai. Comme ça l’est parfois aussi pour des livres édités par de « vrais » éditeurs et écrits par de « vrais » auteurs. Alors pour quelle raison considère-t-on aussi mal les auteurs indépendants ? Disons qu’un ministre de la Culture clamant haut et fort devant les éditeurs du SNE que c’est l’éditeur qui fait la littérature tire une balle dans la nuque aux indés.  Pourtant, quand on mesure ce que le courant indé a apporté au cinema et à la musique, il n’y a pas de quoi le mettre plus bas que terre.
Le manque de visibilité découle de ce qui précède. Les journalistes, les critiques et les blogueurs se pincent le nez devant les manuscrits que les indés leur envoient. Cela peut se comprendre – sans pour autant s’excuser – de la part des professionnels, car il y a presque toujours conflits d’intérêts entre eux et les grandes maisons d’édition. C’est moins compréhensible de la part des blogueurs, qui font preuve d’un manque de curiosité et d’un conformisme hallucinants.
Il y a déjà eu des papiers, dans la presse, sur l’autoédition – et j’ai eu la chance d’en être, donc je ne crache pas dessus –, j’ai même été interviewé par Canal (le reportage a malheureusement été déprogrammé), mais c’était toujours axé sur le phénomène de l’autopublication, sur ses pionniers en France, sur ces aventuriers de l’édition sauvage. La seule chose qui intéressait, c’était l’ampleur du mouvement et les chiffres de vente, jamais la qualité ou la médicorité des livres. C’est dommage.
Le problème principal de l’autoédition, tu le soulignais dans un excellent article, Chris, c’est qu’il n’existe pas encore d’infrastructure pour mettre en valeur les textes indé de qualité.

Chris Simon. Oui, c’est vrai. Mais j’ai le sentiment que c’est en train doucement de se mettre en place. Et surtout les indés prennent conscience du problème et commencent à proposer des réponses intéressantes.


Que penses-tu de la rivalité papier/numérique ?

Chris Simon. La rivalité se trouve au niveau financier. Un livre papier se vend en plus grande quantité (même en auto-publication) qu’un livre numérique. C’est l’état du marché actuel. Seulement l’auteur en numérique gagne autant que l’auteur en papier. Je m’explique : sur un livre vendu 2,99€ sur Amazon, Amazon me reverse 1,98€, c’est plus que les 10% de droits d’auteur pratiqués par la plupart des maisons d’éditions papier sur un livre à 18,00 euros. Chez un éditeur numérique, l’auteur touchera autour de 30 % et bénéficiera de tous les services d’une maison d’édition à compte d’auteurs. L’éditeur numérique ÉLP reverse jusqu’à 60%. Je le signale car ce tarif est rare.
L’argent, donc. Le numérique remet en cause le partage des revenus et des coûts sur un livre au profit de l’auteur et du lecteur. En effet, le prix des livres numériques des Pure Players est très en dessous des tarifs pratiqués par les maisons d’éditions papier. C’est plutôt une bonne nouvelle, non ?

En tant que lectrice j’apprécie de pouvoir lire en abonnement le catalogue (plus de 600 titres) de Publienet pour 95,00€ par an. En tant qu’auteur, j’apprécie de gagner 30 % des ventes de mon livre et non pas 10%.
L’argent aura raison de ce débat numérique/papier qui n’en est pas un. Le papier n’est pas mort, mais le ebook ne tue pas d’arbres et n’est pas trop gourmand en électricité sur liseuse.

Laurent Bettoni. Opposer le papier au numérique, c’est comme si je disais à un pote : « Écoute vieux, je viendrais bien chez toi, mais tu te chauffes à l’électricité. Et moi, ce que je préfère, c’est le silex et la torche, y a que ça de vrai, tu comprends ? Alors, ça va pas être possible. » Stupide. Proprement stupide.
Le papier et le numérique sont juste deux supports de lecture différents, pour deux usages différents, l’un n’excluant pas l’autre, mais le complétant au contraire. Évidemment, je préfère l’objet livre à une tablette ou une liseuse. Un livre – surtourt ceux de chez Lunatique qui sont des œuvres d’art – est autrement plus sexy, plus charnel, plus sensuel qu’un ordinateur de poche froid et numérique. Je ne suis pas comme ces mecs qui se la racontent en prétendant qu’ils sentent le papier, qu’ils le caressent, qu’ils écoutent la couverture craquer, etc. Perso, je n’ai jamais vu aucun de ceux-là sniffer un livre, ni caresser les pages, ni s’émouvoir d’une couverture qui craque, parce que les livres qu’on achète aujourd’hui ne sentent que la colle qui pue à mort, que leurs pages ne possèdent aucune nervure, vu qu’on édite sur du papier recyclé et archirecyclé, et que les couv. sont cartonnées, voire vernies, et non en vieux cuir, alors pour les entendre craquer, bonjour ! Bref, je ne suis pas comme ces personnes, mais je préfère, quand j’en ai la possibilité, tenir un livre entre les mains plutôt qu’un reader. Seulement, je m’intéresse aussi au contenu, à la quantité et à l’apect pratique. Là, une liseuse est imbattable. Quand je pars en vacances, tous mes livres tiennent dans ma liseuse. Pour les chroniques que je rédige, j’ai besoin de lire pas mal de livres. Les recevoir en numérique éviterait l’encombrement de ma bibliothèque. Et si le livre m’a plu, rien ne m’empêche de l’acheter ensuite en broché.
Il est important de signaler, à cet égard, qu’une des grandes plates-formes d’autopublication numérique propose également les livres en version papier, en impression à la demande, ce qui contente tout le monde. Chez ce libraire en ligne, mes romans sont ainsi disponibles en ebook et en papier.
Enfin, si on pense aux élèves, les tablettes de 150 grammes remplaceront bientôt, j’espère, les kilos de manuels qu’ils se coltinent sur le dos à longueur d’année. Là encore, vive le numérique.
Et le numérique permet le livre enrichi, qui peut trouver tout son sens dans les ouvrages pédagogiques ou pratiques. Mais pas que. Avant, il y avait les livres-disques ; demain, il y aura les livres-films.


En quoi le numérique peut-il démocratiser la lecture ?

Chris Simon. La démocratisation est venue grâce au niveau d’éducation des pays développés et ce niveau est souhaitable dans tous les pays du monde. L’éducation permet l’émancipation des peuples et des femmes. En occident, la lecture a déjà été démocratisée à travers les blogs et les sites qui fleurissent depuis plus d’une dizaine d’année sur la toile et aujourd’hui dans le monde entier. Si on peut baisser le coût des livres et suprimer le coût de leur transport alors on permettra à plus de gens de pouvoir acheter des livres et donc de continuer leur éducation durant l’âge adulte. Ce que l’on appelle aux Etats-unis le longlife learning est l’avenir de l’éducation et le numérique contribue à rendre l’éducation continue simple et facile d’accès.

Laurent Bettoni. Le livre numérique permettra de democratiser la lecture quand les tarifs seront honnêtes. C’est-à-dire quand le prix d’un ebook sera inférieur à celui d’un poche. Ce qui est loin d’être le cas pour l’instant. Les ebooks proposés par les grandes maisons d’édition coûtent à peine moins cher que les grands formats correspondants.  C’est une stratégie pour que les lecteurs continuent au moins à acheter les formats poche en attendant que les éditeurs aient du contenu à proposer en numérique. Deux ou trois éditeurs, principalement dans de la littérature de genre, font exception à la règle et pratiquent une politique tarifaire en numérique très attractive. Bizarrement, ce sont eux qui explosent les ventes.
Sinon, il y a les auteurs indépendants ! Chez eux, les prix sont honnêtes, n’excédant pas en general 5 €, et se situant même plutôt entre 2 € et 4 €. Pour le lecteur, il y a vraiment là une occasion de découvrir de nouvelles plumes, de nouvelles écritures.

Chris Simon. Tout à fait d’accord avec toi ! Et c’est la lectrice qui parle.


En quoi le numérique peut-il démocratiser l’écriture ?

Chris Simon. Les blogueuses et blogueurs sont de plus en plus des amateurs, des passionnés d’un sujet et qui écrivent sur celui-ci. Ils découvrent et font découvrir aux autres. Ils partagent leur savoir. Il y a une très forte notion de partage dans le numérique. Ce partage est parfois mal compris et certains pensent que tout devrait être gratuit sur internet. Je ne crois pas. Je peux décider de partager ma connaissance sur les papillons, mais je peux aussi décider d’en tirer un profit pour vivre, de créer mon propre emploi (vu la disparition des emplois dans les pays occidentaux !). Les deux approches sont viables et respectables.
Nous sommes finalement arrivés à créer une société ou la grande majorité des gens savent lire et écrire. On devrait s’en réjouir. C’est un réel accomplissement de société humaine.

Laurent Bettoni. Il est devenu très facile de publier et de diffuser ses écrits sur le Net. C’est en cela que le numérique démocraitse l’écriture. En quoi est-il gênant que très peu de textes ainsi publiés soient « lisibles » ou dignes d’intérêt ? Qui cela embête-t-il ? Et puis, ce qui est inintéressant pour moi sera peut-être captivant pour toi. Les lecteurs sont bien assez grands pour savoir ce qu’ils aiment ou non. On effectue un tri rapide de ce qui va nous plaire ou pas.
Je me réfère encore à la musique et à la video, mais le numérique et le Net ont permis dans ces domains de découvir des talents. Il n’ y a aucune raison pour que cela ne se produise dans l’écriture.


En quoi le statut de l’auteur « numérique » change-t-il ou ne change-t-il pas,
comparativement au statut de l’auteur « papier » ?

Chris Simon.
L’auteur ou même le journaliste en France a vraiment un statut différent de celui aux États-Unis. L’auteur en France ne semble pas inscrit dans une définition démocratique, il semble se définir par une certaine supériorité, dû à son décalage d’homme qui regarde. Du reste l’auteur en France est encore un homme dans l’imaginaire collectif et porte une pile de livres en papier au parfum de salpêtre ;-).
Alors évidemment l’homme qui regarde avec une tablette ça ressemblerait plutôt à François Bon qu’à Jean Genet. Bien que je ne pourrais expliquer pourquoi Genet avec un Kindle me parait crédible. Et une auteure comme Marguerite Duras ou bien Christine Angot aussi. Essayez d’imaginer des auteurs vivants ou morts avec une liseuse ! ;-)
Je me sens une auteure du numérique. Il n’y a pas d’explication à part que cela correspond à mon temps, mon époque, ma façon de vivre. Je trouve les rapports avec les “Pure players” plus directs, plus efficaces, plus sains aussi ; et surtout la possibilité de pouvoir se  passer d’un éditeur me parait salvatrice. Ce n’est pas obligatoire, mais c’est possible. L’auteur a le choix. La facilité avec laquelle on peut aujourd’hui publier sur un blog ou un livre en numérique annonce une véritable évolution des usages de la lecture et de l’écriture.
Je m’adresse presque directement au lecteur et une fois mon œuvre écrite tout va dix fois plus vite qu’avec un éditeur papier. L’auteur enfin voit son œuvre exister en temps réel. En ça, oui, le statut de l’auteur a changé.

Laurent Bettoni. L’auteur « numérique » autopublié, d’une manière ou d’une autre, doit mettre les mains dans le cambouis. Il est à la fois auteur, correcteur, maquettiste, graphiste, éditeur, technicien, attaché de presse. C’est en cela que son statut change. Un auteur pris en main par un éditeur n’a qu’à se concentrer sur son œuvre. La suite ne lui appartient plus. Un indé fait tout de A à Z. Même s’il délègue certaines de ces tâches, il se doit de toutes les superviser et détient le final cut sur chacune. Il devient adulte, responsable de chaque étape de la chaîne de fabrication de son livre.
J’ai la chance de travailler dans l’édition et de pouvoir « subvenir » à mes besoins, d’évoluer en totale autonomie. J’ai en plus une formation et un diplôme de correcteur. Si bien que, de la correction à la conversion des fichiers, de la mise en page à la création de la couv, je fais tout sans recourir à personne. Cette liberté totale est un luxe et me facilite grandement la vie. J’ai conscience que, pour d’autres, ce n’est pas aussi simple. Déléguer coûte de l’argent. Et certains ne peuvent pas investir des fortunes, alors ils font ce qu’ils peuvent. C’est souvent pourquoi les livres indé ont mauvaise réputation, car beaucoup sont truffés de fautes, présentent des mises en page catastrophiques et des couvertures « bricolées » qui ne donnent pas envie.
L’auteur indé est responsable de l’aspect pro ou non de son livre, voilà également ce qui change dans son statut.

Chris Simon. Oui, le numérique pourrait bien se révéler ce passage à l’âge adulte de l’auteur. Il devient responsable de son œuvre et il a le choix de confier le travail à quelqu’un d’autre ou de le faire lui-même, pour au final tout valider. On ne reproche pas en France aux réalisateurs d’être à la fois scénaristes, réalisateurs, monteurs et producteurs de leurs films ! Il me semble même qu’au contraire ces réalisateurs sont vus comme des génies. ;-)


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BIBLIOGRAPHIES



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