Entretien avec Marc-André Fournier, créateur de la première heure d'œuvres hypermédia.
Tu es l’auteur de plusieurs guides culturels pour découvrir l'Italie et la France, en suivant les traces de Léonard de Vinci et Michel-Ange. Tu qualifies ces livres d’« hypermédia », là où de moins savants parleraient de livres
enrichis ou augmentés. Explique-nous en quoi consistent tes ouvrages et ce
qu’est un livre hypermédia. Quelle est la philosophie, la vision de l’art que
tu défends derrière ce concept ? Quel est l’intérêt de l’hypermédia ?
Les Guides MAF obéissent à deux
lignes conductrices. La première est un vers de Baudelaire : « Les
parfums, les couleurs et les sons se répondent. » Autrement dit, toutes
les branches de la culture (littérature, musique, image, etc.) sont amenées à
se répondre et non plus à se développer en snobant les autres. La seconde est
qu’il n’existe pas de primat d’une discipline sur une autre. Une chanson peut
être le pivot d’un développement spécifique ; les textes et les images –
animées ou fixes – sont alors au service de cet « art mineur », pour
reprendre Gainsbourg.
Ni savant ni science, dans cette
approche, seulement expérimentateur et expérimentation. Il est difficile pour
un non pratiquant de qualifier, de distinguer des approches dont le résultat, à
première vue, semble identique.
Pour être plus précis, un livre
enrichi est d’abord un livre écrit pour un support – disons papier, par
facilité – auquel on ajoute, hors de son écriture, des illustrations sonores ou picturales.
Un livre hypermédia est réalisé – et
non écrit – dès son processus de création, dès sa phase immatérielle. Ensuite,
c’est juste une question d’outils.
Enrichis-tu toi-même le contenu de tes livres ou recours- tu à
d’autres compétences ?
Je fais tout tout seul. Une
exception pour les vidéos. Je ne suis pas cinéaste et j’ai parfois recours aux
documents numérisés sur Gallica ou Europeana. Mais là encore, il faut les retravailler
pour une mise au format ou couper des scènes ; un travail de montage en
somme.
Franchement, je ne sais pas, car dès
le départ, c’est-à-dire en 2006, j’ai pensé multimédia.
Stendhal nous dit : « Pour
comprendre Michel-Ange, il faut se faire citoyen de Florence en 1499. » O.K.,
mais comment écarter de cette approche la musique ? Un exemple : dans
ses lettres, le sculpteur – qui est aussi l’un des plus grand poète de l’Italie
– se dit ravit de la mise en musique de ses poèmes par Jacques Arcadelt [1]
La seule écriture est impuissante à rendre cette ambiance culturelle ou
populaire dans laquelle baignaient Léonard de Vinci et Michel-Ange, dans laquelle
nous baignons. Si j’écris « Pure and
Easy [2],
de Pete Townshend, est un manifeste hypermédia », en dehors des fans des
Who, et encore, personne ne va comprendre. La lecture des paroles va nous
éclairer, mais son écoute sera encore plus puissante à performer cette
assertion.
Aujourd’hui, 24 janvier 2013, sur quels supports de lecture numérique
peut-on lire des livres hypermédia ?
On pense tout de suite à l’iPad. Le
moteur de rendu d’Apple, iBooks, lit les formats ePub avec vidéos et musiques
et le format maison, Authors, spécifiquement développé pour ce type d’écriture.
Il est possible, sur PC et Mac, de lire avec Acrobat des PDF hypermédia.
Il existe, je crois, une application
pour iPad capable aussi d’un tel rendu, mais je ne me souviens pas du nom.
Concernant KF8 et le Kindle, c’est paraît-il
possible, mais je ne sais pas faire. Mes balises vidéo et musique ne sont pas
reconnues. De plus, au-delà de 50 Mo, KDP nous rejette. Et 50 Mo, ce
n’est rien.
Quelles sont les limites techniques, à ce jour, du livre
hypermédia ? Que peut-on faire, que ne peut-on pas faire ?
Pour le moment, je suis loin d’avoir
atteint les limites techniques des protocoles et formats d’ePub ou iBooks. Mes
compétences techniques et mes ressources pécuniaires sont plus pénalisantes.
J’aimerai par exemple intégrer des séquences de jeux. Possible, pas possible,
je ne sais pas, mais cher, c’est sûr.
Alde Manuce |
Les guides sont longs et chers à produire
(dizaines de milliers d’euros, en temps passé). C’est juste un peu plus long et
un peu plus cher à réaliser. Intégrer une musique existante, avec la permission
des interprètes – pour les compositeurs, dans mon cas, ils sont morts depuis
longtemps –, ce n’est pas un budget faramineux, juste du temps.
J’écris en couleurs aussi, le noir
pour moi, le bleu pour les citations, le violet pour Léonard, une autre couleur
pour Michel-Ange. Ce n’est pas plus cher. Cela permet d’éviter « Léonard a dit, écrit, souligné, etc. »
On y gagne en fluidité d’écriture, en enrichissement ;-). J’ajoute
même des pictogrammes pour caractériser les intervenants, les armes du pape
pour Pie II, par exemple. Les gens aiment bien.
La pub dans les livres, c’est vieux
comme les livres. Manuce [3],
au XVIe siècle, y avait déjà recours. Pour le moment, deux
titres à mon actif incluant de la publicité et aucun hurlement parvenu à mes
oreilles. Cette expérience reste encore
confidentielle.
Le lectorat veut du gratuit, et les
auteurs veulent vivre de leur passion, la publicité est une solution. Personne
ne rejetterait l’Énéide de Manuce, au
prétexte de la présence des pages publicitaires qu’il y a lui-même introduites,
dans sa version d’origine, donc, en 1501 ! Humaniste et homme d’affaires…
Si l’approche publicitaire n’est pas
trop intrusive, si elle est pratiquée avec intelligence, on devrait pouvoir
satisfaire tout le monde, les libraires y compris. L’idée est que l’annonce ne
dégrade pas le texte mais le valorise ou le complète, comme par exemple
l’insertion de la vidéo de Baumgartner, dans mon ouvrage Milan, visites avec Léonard.
Quels sont les développements envisageables ? Jusqu’où peut-on
rêver ?
Les limites sont celles de notre
imagination, bridée certainement par nos connaissances techniques… ou notre porte-monnaie.
J’aimerais par exemple voyager au sein des tableaux, une sorte de
« reverse engineering » de la perspective linéaire. Techniquement,
c’est sûrement faisable, des gens savent ; pécuniairement, c’est une autre
histoire.
L'ombre de MAF (DR) |
Si on revient 7 ans en arrière, je
n’imaginais pas un éditeur miser un kopeck sur un illustre inconnu, projetant
de réaliser un guide hypermédia avec pour fil conducteur Léonard. Je suis allé
voir Michelin avec un guide tout fait (un PDF sur CD) pour proposer un
partenariat. Réponse : « Non, ce n’est pas à l’ordre du jour. »
Aujourd’hui, la réponse serait la
même, mais avec une argumentation différente.
Quels sont les avantages, pour toi, à être un auteur indé ?
Quelles sont les difficultés ou les inconvénients ?
La liberté. La voie est évidemment
plus dure, quoique. Proust a bien été refusé par la NRF, alors. On évite les forbans aussi, et il en existe
quelques-uns dans la profession.
Le manque de notoriété est le
principal obstacle. MAF ou Guides MAF, qui connaît ? Asseoir sa notoriété
demande beaucoup de boulot, de l’entregent, de la patience.
Si votre nom est accolé à une maison
prestigieuse, toute sa puissance vous accompagne, même si c’est de la
daube ; on a tous des titres en
tête.
Mais vendre de la daube en étant
indépendant, c’est mission impossible. Cette position ne supporte pas la
médiocrité. La critique et les lecteurs devraient y réfléchir avant de rejeter
un travail fourni par un tel auteur.
Accepterais-tu d’être édité, si l’occasion se présentait, par un
éditeur traditionnel ?
Non.
J’accepterais volontiers de vendre
le catalogue et good bye. Faites-en
ce que vous voulez, et je ferai de même de votre argent.
Où peut-on découvrir des extraits de tes livres, où peut-on se les
procurer ?
Découvrir possède un double sens. Le
lecteur doit effectivement partir en quête. Une requête sur Léonard ou Milan
peut parfois donner des résultats surprenants. La visibilité des Guides MAF sur
l’iTunes Store, même dans l’espace iBooks Author, est loin d’être évidente.
Idem pour les libraires d’ePagine ou Immateriel. Mais parfois Christophe G. ou
Alexis L. détournent le flux du main stream « culturel », prennent un
risque et mettent en avant un titre.
Seul Apple offre des extraits
hypermédia avec le format maison iBooks Author.
Découvrez les
livres de Marc-André Fournier
Découvrez son blog
[1] Compositeur franco-flamand
(1507-1568) de la Renaissance. Plus de détails (en anglais) sur son lien wikipedia
[3] Alde Manuce (1449-1515),
imprimeur-libraire vénitien, véritable inventeur du livre de poche et diffuseur
de la culture humaniste en Italie. Plus de détails.
Convaincu et partant pour une écriture hypermédia ?
RépondreSupprimerTrois fois oui, on s'y met quand ? :-)
RépondreSupprimerQuand tu veux ;-) il suffit de trouver un projet.
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