© David Az |
Véronique Sauger a joué, de 1990 à 2008, dans
l’orchestre philharmonique de Radio France (contrebasse), avant de produire et
d’animer depuis 2005, dans cette même maison de Radio France, sur France
Musique, une émission intitulée Les
Contes du jour et de la nuit, dans laquelle elle mêle en virtuose – elle
n'a pas l'oreille absolue pour rien – les mots et les notes. Elle a également créé,
il y a peu de temps, les éditions Épingle à nourrice. Enfin, si elle met en
lumière les textes des autres, elle écrit aussi elle-même. Dans ce troisième entretien, c'est au sujet de son travail d'auteur qu'elle répond aux questions d'Écran total.
Qu’écris-tu ?
Parle-nous de tes différents ouvrages. Quel est ton univers, quelles sont tes
influences ?
Qu’écris-je, et qu’ai-je écrit ?
Des romans, des essais, des fragments, des poésies,
également des portraits dont la base est Laissez-vous conter, émission
aujourd’hui supprimée d’interviews mises en musique, créée en 2005 pour France
Musique, suite à ma formation à l’écriture audiovisuelle aux côtés de Daniel
Kupferstein (réalisateur de documentaires filmés pour la télévision), Michel
Sidoroff (réalisateur de fictions radiophoniques pour France Culture),
Christian Oster (romancier) et Robert Arnault (créateur, animateur d’Histoires
possibles et impossibles sur France Inter).
Pourquoi est-ce que je précise cela ? Parce que
pour moi tout est lié, l’écriture est un tout, et j’entends comme je vois ce
que j’écris.
Mon univers est sonore, et par ce sonore-là, j’exprime
le silence, la pensée, l’émotion, suivant une structure compositionnelle
musicale, mais l’air de rien, et ça, c’est important pour moi. Je n’aime pas ce
qui est connoté. J’aime que l’imaginaire et le ressenti des lecteurs restent
ouverts, libres d’aller où leur cœur va, où leur expérience pourra résonner.
Liberté.
Mon premier ouvrage publié l’a été par les éditions
Radio France. Il s’agit d’un livre CD, Les
Bonbons sauvages, allégorie poétique dont la musique a été enregistrée par
un quatuor à cordes de musiciens exceptionnels, et illustrée – collages réalisés
en résonance – par Sylvain Moréteau, chroniqueur de l’habitat écologique ! J’avais écrit ce conte en pensant aux Bagatelles de
Webern et lorsque j’ai participé à la réalisation de l’enregistrement, j’ai
réécrit le texte en adaptant le conte comme un livret d’opéra, mots et musique
s’épaulant, se répondant les uns les autres, tous indispensables. Un article de
Gérard Condé dans le journal Le Monde
décrit cela avec beaucoup de finesse et d’intelligence : la musique, la
voix, les mots.
Pour moi, l’écriture se situe dans les interstices du
silence de l’émotion, dans la métaphore qui ouvre l’imaginaire et la prise en
charge de son propre ressenti, juste guidé par la trame.
Mon deuxième livre édité, Portraits croisés de Francesca Solleville et Allain Leprest, fait
suite à leurs interviews dans Laissez-vous conter. J’ai eu à cœur de soigner la
poésie malgré le sujet plutôt documentaire. Allain Leprest était un artiste et un
poète hors norme, un génie, j’ai ainsi voulu lui rendre hommage. Quant à
Francesca Solleville, chanteuse « à textes », son engagement tout
terrain et son amitié forte avec Allain ont permis un échange exceptionnel,
authentique. J’ai ajouté en tête des chapitres des paroles de chansons de
l’album Al dente, écrites par Allain Leprest, dont les musiques ont été
composées par Gérard Pierron (rédacteur de la préface du livre), mais aussi par
Jean Ferrat et Michel Précastelli pour deux ou trois d’entre elles. J’ai fait
de la partie « commune » – Allain et Francesca interviewés ensemble –
une courte pièce de théâtre, au centre de l’ouvrage.
Cela a constitué pour moi un exercice d’écriture
inédite qui m’a captivée. Le tout donne un livre de portraits extrêmement forts
qui aurait mérité un soutien médiatique.
Mon troisième livre publié s’intitule Musique, mon amour… Ah ! la
musique !
Quand, rendue inapte par une succession de problèmes
de santé, j’ai dû arrêter la pratique instrumentale, j’ai accusé le coup, et
quelque chose en moi s’est brisé. Pour le réparer, j’ai imaginé une
correspondance avec ces compositeurs qui m’ont accompagnée durant toute ma vie
de musicienne, seule ou à l’orchestre philharmonique de Radio France. Pour moi,
la musique et son interprétation sont « l’être » sans les mots. J’ai
vécu des années de concerts en étant accompagnée par les seules ombres
omniprésentes de centaines de compositeurs dont je cite dans chaque lettre les
titres des œuvres de façon subliminale.
Ce ne sont pas les compositeurs qui s’expriment, ce
sont des impressions, mes impressions qu’une même passion musicale réunit malgré le
temps, les années et les siècles passés. D’un côté la musique, de l’autre le
silence ! J’ai cherché des mots justes qui ne soient pas un rapport de
force. J’ai donc écrit à chacun mon amour... de la musique ! Ce sont, pour
résumer, des lettres d’amour. Les lecteurs les ressentent comme ils
« l’entendent ». Certains
m’ont dit se sentir directement concernés par cet amour ! D’autres ont
entendu les centaines de musiques dans la pièce où ils lisaient le livre et ont
eu ensuite une immense envie de les écouter réellement ! Quant à moi,
j’espérais faire ressentir la musique, « ma » musique, par les mots
du cœur. C’est à mes yeux mon témoignage écrit le plus important.
Où peut-on
se procurer tes livres publiés ?
Eh bien, par les sites des éditeurs, je pense, Radio
France, et Les points sur les i. Honnêtement, je ne sais pas, je ne sais plus.
Il est avéré que les deux derniers livres n’ont jamais été diffusés ni
distribués en librairie par l’éditeur.
Certains de
tes textes non publiés ont intéressé des éditeurs, et finalement la démarche
n’est pas allée jusqu’au bout. Pour quelles raisons, que s’est-il passé ?
Ce qui semble intéresser d’abord les éditeurs, c’est
l’autobiographie, triste ou incroyable, bref, qui vende un parcours difficile
dans la vie. Mon premier roman, sur fond de milieu musical, évoque les
relations humaines pendant les tournées, la quête de soi, de son identité, au
travers de voyages, de concerts, mystères du passé et événements du présent se
retrouvant mêlés, se séparant, puis se réunissant en miroir.
Le deuxième roman se fonde sur d’importantes
recherches que j’ai réalisées auprès de psychiatres – syndrome d’Asperger, schizophrénie –, ainsi
que sur la dérive physique et mentale de SDF – observations sur le terrain. J’ai
placé le tout dans un univers transparent, de glace, étayé de références à
toutes sortes de musiques, de Vivaldi à Piazzolla, Riley, Pärt, Weill, en
passant par les Beatles dont j’ai traduit littéralement certains titres et
paroles. L’histoire avance par à-coups, errance symbolique, rencontres et lieux
de vie méconnaissables, devenus inédits et intimes. La part de moi-même, de ma
vie, y est infime, ce fut une base pour dépasser le sujet, le rendre universel.
Mais là est la démarche de tout écrivain, mêler histoire, sensation, recherches,
fiction, intuition. Des éditeurs m’ont demandé de gommer le côté métaphorique,
de réécrire au « je », d’en faire explicitement l’histoire de ma vie.
J’ai refusé.
J’ai réécrit il y a peu mes deux romans, oui, car je
désirais éclaircir certaines images, mettre du liant, mais je n’en ai
(toujours) pas fait l’histoire de ma vie.
Que
comptes-tu faire de tes textes « dormants », et travailles-tu sur de
nouveaux ?
Mes textes dormants... Il y en a beaucoup, j’aimerais
les sortir de l’ombre. Pour commencer, nous réfléchissons, avec le créateur
visuel David Azulay, à un concept complètement original de photo-roman et sons
pour les deux écrits évoqués ci-dessus. Il faut savoir que j’entendais et
voyais très clairement ces romans lorsque je les écrivais, et que tout y est
décrit.
Il ne s’agira pas de roman photo avec bulles de
textes, non, mais d’une démarche cinématographique immobile, dont les
traitements de l’image feront référence aux sons (« les images résonnent,
elles ont toutes un rythme, un spectre sonore », selon David Azulay) et au
texte, bien sûr, mais aussi à des courants picturaux et/ou photographiques.
Quant aux centaines de poèmes et fragments poétiques
qui reposent dans mon disque dur, je ne sais pas, j’ai besoin d’aide éditoriale
pour les organiser ; les regrouper par thèmes, par exemple...
J’ai également écrit trois séries, ou collections, de
contes radiophoniques pour les Contes du jour et de la nuit (diffusés sur le Web
de France Musique), qui je l’espère trouveront bientôt un illustrateur ou un
créateur, un artiste visuel.
J’aimerais présenter tout cela – romans, fragments,
poèmes, contes – à l’édition Web comme des livres CD. Les réalisations sonores
sont de très grande qualité, et on pourrait leur adjoindre une petite vidéo,
mettre en place une interactivité (réalité augmentée), et je ne dis pas tout...
Un outil totalement neuf ! Qui ne renierait pas le livre papier pour
autant !
J’ai contacté Elizabeth Sutton, avec laquelle tu as
réalisé dernièrement une série d’entretiens, je ne connais pas bien les
possibilités ni la portée de l’édition numérique, nous verrons.
Puis un troisième roman, de nouveaux contes et des
fragments poétiques sont en cours. À suivre…
Toi qui es
à la fois auteur et éditeur, quel regard portes-tu sur tes confrères éditeurs
et sur l’édition française en général ?
Avec le livre illustré Histoire de Nounours qui vivait sa vraie vie quelque part sur un nuage,
coécrit avec un groupe d’adolescents autistes et Ated, je suis à la fois auteur
et éditeur. Je me suis, là, mieux rendu compte de la difficulté d’être hors
cadre, et dans ce cas précis à la fois dans les choix de fabrication du livre,
du sujet, et du fait de la participation d’un groupe de handicapés en tant que
co-auteurs de la création.
Nous avons dû négocier au plus serré, et nous avons
publié le livre à compte d’éditeur, mais nous nous heurtons aux refus des
libraires, peu ou pas enclins du tout à soutenir une démarche différente, atypique.
Le formatage des livres pour la jeunesse est
impressionnant, il y a des codes pour tout, la couverture doit être d’une
certaine facture et pas d’une autre, et sauf rares exceptions, les
illustrations descriptives et le texte doivent raconter des tranches de vie
clairement (arrivée d’un petit frère ou d’une petite sœur, entrée en crèche, à
l’école, etc.) !
Comme les libraires ne savent pas d’emblée dans
quelle case ranger notre livre, ils le refusent. Ou s’ils le gardent en dépôt,
ils l’oublient dans un coin, et finalement nous renvoient à nous-mêmes.
Le jury du prix Handilivre nous a répondu que ce
livre était trop poétique, donc pas assez vendeur, si bien que nous n’avons pas
été sélectionnés.
De mon point de vue, ce formatage est le même pour
tous les livres de tous les âges. C’est ce qui me fait penser que les maisons
d’édition « en vue » ne font pas leur travail de chercheurs et
détecteurs de nouvelles écritures, ils ne prennent aucun risque. Aucun.
Quant aux petites maisons d’édition, elles manquent
d’aide, de moyens, de visibilité. Elles n’ont en général aucune communication
ou la refusent, cela arrive, préférant vendre et diffuser par elles-mêmes.
Elles ne sont donc pas prises au sérieux.
J’ajoute qu’hélas certaines de ces petites maisons
d’éditions proposent des contrats à compte d’éditeur déguisés, qui sont en
réalité des comptes d’auteur au final très coûteux, de mauvaise qualité de
fabrication et ne bénéficiant bien sûr d’aucune promotion.
Passionnant... Je souhaite que votre projet d'une structure égalitaire, inédite, de qualité, regroupant les mots, sons, images, aboutisse ! Une aventure à suivre avec un grand intérêt.
RépondreSupprimerSuper idéal! Merci d'exister Véronique Sauger!
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