La BNF et ses listes de la honte
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Dès 2012, le monde des lettres pouvait redouter le
pire, après que son ministère, par la voix de sa représentante fraîchement entrée
en fonction, eut affirmé haut et fort, devant le président du Syndicat national
de l’édition (SNE) : « C’est l’éditeur qui fait la
littérature. » Nous – écrivains et lecteurs – qui pensions naïvement que
c’était l’auteur qui faisait la littérature ! Merci pour ce recadrage,
madame le ministre « des Hautes Instances de la culture mais surtout pas
de sa valetaille ».
Nous pouvions craindre le pire, donc. Et ça aurait
été un moindre mal. Car depuis le 21 mars 2013, le ministère de la Culture et
le SNE, qui s’entendent décidément comme larrons en foire, nous montrent qu’il est
possible d’aller bien au-delà du pire.
Sans consulter les principaux intéressés – à savoir
les auteurs et leurs ayants droit –, le gouvernement, le SNE, la Bibliothèque
nationale de France (BNF) et la Société des gens de lettres ont décidé
de remettre en cause le droit d’auteur, au pays même des Lumières, qui l'ont créé. Certains ne doutent de rien. Cette
mesure a priori anticonstitutionnelle se matérialise par un projet baptisé
ReLIRE (Registre des livres indisponibles en réédition numérique).
Explications.
Qu'est-ce que le projet
ReLIRE ?
Le plus drôle, si je puis dire, est que l’idée ne
vienne même pas d’eux – ces gens-là n’ont pas beaucoup d’imagination
– ; ils l’ont piquée à Google Books, qu’ils traitaient de pirates, à
l’époque, et qu’ils ont viré pour prendre sa place. C’est la différence entre
le pirate, qui est un voleur hors-la-loi, et le corsaire, qui est voleur
mandaté par l’État. Nous passons donc d’un projet pirate à un projet corsaire. Ça
ne change pas grand-chose pour les victimes, dans les deux cas les détrousseurs
montent à l’abordage sabre aux dents.
Le projet ReLIRE consiste à numériser, sans le
consentement des auteurs ni de leurs ayants droit, les livres du XXe siècle
(publiés entre le 1er janvier 1901 et le 31 décembre 2000) déclarés
« indisponibles ». Un livre indisponible est un livre qui n’est plus
exploité commercialement, que ce soit en version papier ou en version
numérique. Seraient concernés 500 000 ouvrages, que la BNF numériserait ainsi.
Et le 21 mars de chaque année, elle établirait une liste de 60 000
nouveaux ouvrages numérisés. La première liste a vu le jour le 21 mars 2013. La
prochaine sera consultable le 21 mars 2014, et ainsi de suite jusqu’à
épuisement des 500 000 titres.
Cette loi vise officiellement à rendre de nouveau
accessible dans le commerce les livres qui en ont définitivement disparu.
Comment s’opposer à ce noble objectif ? Comment ne pas faire passer les
auteurs et les ayants droit qui y trouveraient quelque chose à redire pour
d’odieux personnages auprès des lecteurs ? Comment ne pas les faire passer
pour les grands méchants rapiats, près de leurs sous et de leurs œuvres ?
Comment ne pas tomber dans ce piège ?
Le droit
d’auteur et le Code de la propriété intellectuelle violés
Considérons que le projet ReLIRE est bien ce qu’il
prétend être : un moyen de maintenir en vie des œuvres à jamais disparues
sinon. Dans ce cas, pour quelle étrange raison ses instigateurs ont-il bien
pris soin de ne pas se concerter avec les auteurs et ayants droit ? Pour
quelle étrange raison cela ne s’est-il pas décidé au grand jour ? Qui s’y
serait opposé ? Quel auteur aurait intérêt à ce que ses œuvres ne soient
pas diffusées le plus largement possible ? Au lieu d’agir en pleine
lumière, le gouvernement a fait passer la loi en catimini, une nuit à l’Assemblée ;
entre chiens et loups – chacun se reconnaîtra.
Dans un pays civilisé et démocratique, pour qu’un éditeur puisse exploiter les droits
numériques d’un ouvrage, il doit rédiger, comme
pour la version imprimée, un contrat ou un avenant au contrat et le
faire signer à l’auteur. Le projet ReLIRE permet à l'éditeur de s'acquitter de cette obligation. Ce qui ajoute à la violence de la récente loi et qui
la rend inique, c’est son principe de l’opt-out.
Les œuvres sont d’emblée classées dans la liste de la BNF, prêtes à la
numérisation, sans que personne n’ait pris soin au préalable de proposer à l’auteur
ce fameux avenant numérique. Nous nous trouvons en violation totale du
fondement même du droit d’auteur. Celui-ci, placé au pied du mur, doit
effectuer des démarches administratives pour que la BNF retire ses textes de sa
liste – quelque chose me glace les sangs lorsque je prononce à voix haute
« la liste de la BNF », il y a comme de vieux relents…
L’auteur doit donc envoyer à la BNF, et cela pour
chacun de ses livres, une photocopie recto/verso de sa carte d’identité et une
déclaration sur l’honneur attestant qu’il est bien l’auteur dudit ouvrage. Si
l’on a beaucoup d’humour, on peut y voir une forme d’hommage à l’univers
kafkaïen ! Quatre mois plus tard, la BNF daigne répondre à l’auteur pour
l’informer de sa décision de retirer ou non le livre. On croit rêver.
Projet ReLIRE, projet tiReLIRE… mais pas pour les auteurs
À partir du moment où un livre figure sur la liste de la BNF, l’auteur a six mois pour exprimer son désaccord. Passé ce délai, le texte peut être numérisé et voir le traitement de ses recettes confié à un organisme de gestion collective, la Sofia.
Cet organisme est composé à parité d’éditeurs et
d’auteurs, là où nous nous serions attendus à ce que seuls des auteurs
s’occupent de cela. Si projet ReLIRE = projet tiReLIRE, ce n'est certes pas au bénéfice de l'auteur. En effet, c'est l’éditeur qui reste l’exploitant exclusif des droits numériques
par périodes de 10 ans, renouvelables par tacite reconduction, alors qu’il
avait pourtant cessé de commercialiser le livre, déclaré en conséquence
« indisponible ». S’il décline la proposition, n’importe quel autre
éditeur qui le souhaite peut exploiter l’œuvre, sans exclusivité, pour une
durée de 5 ans.
Ni les auteurs ni leurs ayants droit ne sont prévenus
lorsque les ouvrages sont inscrits sur la liste, c’est à eux de faire de la
veille. Et s’ils ne se manifestent pas, cela arrivera bien souvent,
qu’adviendra-t-il des royalties qu’ils sont censés percevoir ? À quel prix
les livres seront-ils commercialisés ? Quel pourcentage reversera-t-on aux
auteurs ?
Autant de questions bizarrement sans réponses pour
l’instant, et très certainement pour longtemps.
Non, les auteurs ne veulent pas garder leurs œuvres
pour eux ; non, ils ne veulent pas s’enrichir par tous les moyens ; non, ils ne
veulent pas priver les lecteurs de leurs ouvrages. Il ne veulent simplement pas
diffuser leur art à n’importe quel prix ni n’importe comment.
Il aurait été tellement plus simple, tellement plus
respectueux, tellement plus honnête de les consulter au lieu de les traiter par
le mépris et de chercher à gagner trois sous sur leur dos, en cachette. Il
aurait été tellement plus simple d’appliquer le principe de l’opt-in, dans lequel l’auteur exprime son
désir de voir ses œuvres sur la liste, sans y être contraint et forcé manu militari. On sait trop de quelle
manière évolue une société qui fait passer ses artistes et ses intellectuels
pour les ennemis du peuple.
Le seul bien d’un créateur est sa création. Si on la
pille, si on la vole, si on l’exploite honteusement, c’est le créateur qu’on
pille, qu’on vole et qu’on exploite.
Dans une telle situation, on aurait presque envie de
crier : « Vive l’indépendance ! Vive l’autoédition ! »
Il est vrai qu’il n’a jamais été aussi simple, pour les auteurs, que de publier leurs textes sans aucun intermédiaire et de se retrouver
en prise directe avec leur lectorat.
Une solution à méditer ?
Liens
utiles à consulter
Bonjour, je me permets de vous signaler ceci
RépondreSupprimerhttp://ledroitduserf.wordpress.com/
http://lafeuille.blog.lemonde.fr/2013/03/28/relire-le-pillage-du-droit-dauteur-organise/
http://www.actualitte.com/legislation/oeuvres-indisponibles-relire-marquera-l-histoire-de-la-pensee-41263.htm
entre autres !
Hélène Collon
Bonjour Hélène,
RépondreSupprimerquand je ne discute pas avec toi sur le DDS, c'est toi qui viens me chercher sur mon blog :-)
J'ajoute tes liens à la fin de mon article, merci pour ces précisions.