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Florian Rochat est un ancien journaliste de presse écrite, de radio et de télévision. Il a publié deux ouvrages chez des éditeurs traditionnels, La Saga du boulot (Favre, 1986) et Cougar Corridor (Le Passage, 2009).
Cependant, il a décidé de publier son nouveau roman en auteur indépendant. Il explique pour quelles raisons, selon lui, l'édition numérique et indé n'apporte que de bonnes choses aux lecteurs comme aux auteurs. Ce qui n'exclut pas la possibilité de proposer ses livres en version papier pour ceux qui restent réfractaires aux liseuses et tablettes.
Parlez-nous de votre dernier roman en date, La
Légende de Little Eagle.
C’est une longue histoire. Voici une dizaine
d’années, alors que je traquais des lions de montagne dans le Montana, pour les
besoins de mon premier roman, Cougar
Corridor, je suis tombé sur une lettre, dans un petit musée indien. Le
courrier était posté de Mardeuil, en 1947. L’auteur s’adressait aux parents
d’un jeune pilote américain qui avait évité un désastre à ce village en 1944.
Il était resté jusqu’au bout aux commandes de son appareil endommagé pour ne
pas s’écraser sur ses maisons, et avait ainsi trouvé la mort, alors qu’il
aurait pu sauter en parachute. Mais en sacrifiant la sienne, il avait sauvé
plusieurs vies.
Donc un jeune gars était parti du Montana pour aller
se battre en Europe et était resté en Champagne. Là-bas, au cœur des montagnes
Rocheuses, cette lettre et ses implications m’avaient ému. Comment pouvait-on
s’engager comme volontaire (le cas de tous les pilotes américains) pour s’en
aller faire la guerre sur un autre continent, à un moment où les États-Unis
n’étaient plus menacés ?
Le contenu de cette lettre m’a poursuivi durant
plusieurs années. Je me disais qu’il y avait peut-être là l’idée d’un livre…
mais quoi ? Puis un jour, le déclic : et si, aujourd’hui, quelqu’un
héritait d’une maison épargnée par ce pilote, et – sans connaître les faits –
découvrait une copie de la fameuse lettre de 1947 ? C’est ce qui arrive à
Hélène Marchal, ma narratrice, dont la mère, âgée de 4 ans à l’époque, se trouvait
sur les lieux (j’imagine que c’est son grand-père qui avait voulu rendre hommage
à leur fils à ses parents). Sans ce pilote, Hélène n’aurait pas pu voir le
jour. Du coup, elle veut savoir qui était John Philip Garreau, surnommé Little
Eagle, et elle part enquêter dans le Montana pour reconstituer son histoire. La Légende de Little Eagle se déroule
sur fond de guerre et d’aviation, mais pour moi, c’est un roman sur le destin
et ses mystères, qui relient tous les protagonistes de cette histoire, dans le
temps et dans l’espace, jusqu’au moment où Hélène Marchal croit pouvoir mettre
un point final à son livre. Ultime rebondissement.
Quelles
sont vos influences, vos modèles littéraires ?
Je ne crois pas être influencé par qui que ce soit,
et je n’ai pas de modèles non plus. Mais un grand intérêt pour les auteurs
américains. Ceux du Montana et de l’Ouest en général : Jim Harrison, Rick
Bass, William Kittredge, Ivan Doig, James Welch, Norman McLean, Dan O’Brien,
Louise Erdrich, Jim Fergus, mais aussi Jeffrey Eugenides, Jonathan Franzen,
Michael Connelly, John Irving, Stephen King. Et un « géant » :
Thomas Wolfe (à ne pas confondre avec Tom Wolf, que j’aime aussi beaucoup).
De
quelle manière travaillez-vous ?
Un peu au petit bonheur… De manière intense (8 heures
par jour) quand je me plonge dans un sujet. Puis plus rien pendant plusieurs
mois… ou années.
Vote
premier roman, Cougar Corridor, a été
publié par un éditeur traditionnel, les éditions du Passage, mais vous avez
choisi de publier La Légende de Little
Eagle en auteur indépendant. Qu’est-ce qui vous a conduit à cette
démarche ?
Je voulais confier
La Légende de Little Eagle au
Passage, mais ils l’ont refusé au motif qu’ils n’aimaient pas « le rythme
de l’écriture ». Bon… J’ai tenté alors ma chance auprès d’une dizaine
d’autres maisons, mais sans succès. Entre-temps, j’avais suivi depuis le début
de 2011 ce qui se passait aux États-Unis avec la révolution numérique de
l’édition. L’idée de publier facilement, tout en gardant tous ses droits, était
séduisante. Je me suis donc lancé.
Quels
avantages voyez-vous à publier vos livres de façon indépendante,
comparativement à une publication par un éditeur traditionnel ?
La liberté esquissée plus haut. Mais aussi un fait connu :
il est très, très difficile de trouver un éditeur si on n’a pas eu un peu de
succès au préalable. Presque impossible. Quatre-vingt-dix-neuf pour cent de
rejets de manuscrits, dit-on, et je crois que c’est vrai. Comme le dit Mark
Coker, le fondateur de Smashwords, les éditeurs traditionnels sont moins intéressés
de publier des livres que d’en vendre. Donc ils misent sur les auteurs qui leur
font courir le moins de risques. Aujourd’hui, pour un auteur, il est par
conséquent naturel de tourner le dos à l’ancien système et de tenter sa chance
en indépendant. Son livre, ses livres, occuperont sur les
« étagères » des plates-formes numériques le même espace que ceux des
stars de l’édition. Et ils y resteront, parce que ces étagères sont illimitées,
contrairement à celles des librairies, où les livres qui se vendent modestement
seront éjectés au bout de deux ou trois mois pour faire de la place à d’autres.
Et mourront.
Quels
sont les inconvénients ?
Un autre fait connu : la vente est difficile sur
un marché francophone encore immature et assez petit. Surtout par rapport au
marché anglophone : les auteurs américains ont un « bassin »
domestique de 300 millions d’habitants pour tenter de trouver des lecteurs. Ce
marché passe à 500 millions si on prend en compte les autres pays anglophones.
Et peut-être à 800 millions si on prend en compte toutes les personnes qui, de
par le monde, parlent et lisent l’anglais. Voilà pourquoi les « success-stories » de
l’autoédition sont surtout anglo-saxonnes.
Quelles
difficultés rencontrez-vous, d’ordre technique ou autre ? Faites-vous
appel à des professionnels pour certaines compétences ? Que pensez-vous
des différentes plates-formes et de la facilité pour être présent sur chacune
d’elle ?
Je ne suis pas un génie en informatique, mais j’ai un
ami spécialiste qui a formaté mon roman et conçu mon site. Pour la
re-re-re-relecture et l’édition, une poignée d’anciens confrères journalistes
et écrivains. Il faut les écouter, mais pas toujours. L’auteur doit imposer son
libre arbitre au moment de faire des choix éditoriaux d’importances diverses.
Et je me suis payé dernièrement une nouvelle couverture, par une graphiste
professionnelle. L’ancienne, que j’avais concoctée moi-même, faisait assez
amateur.
Pour les plates-formes, c’est Amazon Number
One ! Le Kindle Direct Publishing est facile et efficace, l’option
« échantillon gratuit » très séduisante. Pour le reste, je suis passé
par Smashwords, où l’on trouve des gens très agréables et très pros, et qui
distribue automatiquement les livres sur Apple, Kobo, Fnac, Diesel, Sony et
d’autres, sans qu’on ait à se casser la tête avec toutes ces plates-formes.
Proposez-vous vos livres exclusivement en numérique ou également en version
papier ? Comment cela se passe-t-il ?
J’ai aussi utilisé la possibilité qu’offre Amazon
avec CreateSpace, donc version papier en impression à la demande. Là aussi,
l’outil de téléchargement est super efficace et facile d’utilisation. Ventes
plutôt marginales, par contre, mais c’est sympa de pouvoir donner son livre (de
très bonne qualité à un prix très abordable) à des proches qui ne sont pas
encore convertis au numérique… et de pouvoir offrir cette option à des
lecteurs/clients potentiels.
Avez-vous une idée du regard que portent les professionnels du livre –
éditeurs, auteurs, libraires, critiques, journalistes – sur les auteurs indépendants ? Et les lecteurs,
qu’en pensent-ils ?
Leur regard est dans l’ensemble plutôt consternant.
Il y a une discrimination évidente à l’endroit des auteurs indépendants (des
« sous-auteurs »). Il y a bien sûr à boire et à manger dans l’autopublication,
tout comme dans l’« ancienne édition » d’ailleurs. Mais au-delà de
grands succès populaires d’« Indies »
anglo-saxons, je suis sûr que des chefs-d’œuvre émergeront en numérique,
dans plusieurs langues, écrits par de
vrais écrivains que les éditeurs traditionnels auront rejetés. Quant aux
lecteurs, je pense qu’ils sont plus ouverts. Ceux qui se sont mis au numérique en
ont vu tous les avantages (choix, acte d’achat facilité, prix modérés, agrément
de la lecture sur les outils ad hoc) et « font leur marché » un peu
au feeling, choisissant en fonction de la couverture, du thème ou du genre, de
la description, du prix. Ils sont très pragmatiques, et je crois qu’ils se
moquent bien de l’absence du label d’un éditeur prestigieux.
Quel
est votre regard à vous, et à votre avis, de quelle manière le courant
indépendant, en littérature, pourra-t-il gagner ses lettres de noblesse ?
Comment voyez-vous l’évolution de ce mode de publication ?
Regardez du côté des États-Unis : certains
éditeurs traditionnels réalisent déjà 30 % de leur chiffre d’affaires avec
la publication de leurs livres « papier » en numérique. Mark Coker
(Smashwords) estime que le numérique représentera, l’an prochain, 50 % du
chiffre d’affaires de l’industrie du livre. Ce qui signifie, vu que les prix
des ebooks sont très inférieurs à ceux des livres papier, que le nombre de
leurs ventes sera bien supérieur à 50 %. Le livre imprimé ne mourra pas,
mais peut-être deviendra-t-il vraiment,
comme le prédisent des auteurs comme Joe A. Konrath et Barry Eisler, un
marché de niche (10 % d’ici une dizaine d’années, selon Coker).
Je ne sais pas combien de temps cela prendra en
France et en Europe, où l’adoption du numérique peine un peu («grâce »
notamment à de nombreux éditeurs traditionnels, qui font tout pour le freiner).
Mais aux États-Unis, le New York Times
inclut depuis pas mal de temps les
ebooks indépendants dans sa liste des best-sellers. Et voici quelques semaines,
il a présenté pour la première fois un essai autopublié dont il a loué la
qualité, The Revolution was televised, sur la manière dont l’évolution de la
société américaine était illustrée (ou pressentie) par les séries télévisées.
Le Wall Street Journal, au sujet de
ce même livre, avait écrit que « le meilleur de l’autopublication peut
rivaliser aujourd’hui avec le meilleur de l’édition traditionnelle. » Le
jour où Le Monde, le Masque et la
plume et la Grande librairie feront le même constat au sujet d’un livre
francophone indépendant, ce sera gagné ! Mais aussi – et surtout – les
auteurs indépendants doivent publier de bons livres, d’excellents livres. Pas
simplement des livres parce que tout le monde peut désormais le faire. Tout le
monde ne devrait peut-être pas le faire. L’autopublication est une chance
formidable pour tous ceux et toutes celles qui non seulement ont de bonnes
idées, mais qui parviennent à les concrétiser aussi bien que les auteurs
reconnus de l’édition traditionnelle. À l’inverse, l’autopublication pourrait
bien être le cimetière des œuvres objectivement impubliables.
Reviendrez-vous un jour dans l’édition traditionnelle ?
Non. Carrément non. Même si un de mes livres devait
cartonner un jour en numérique et qu’un éditeur traditionnel veuille le
« récupérer ». Dans une telle hypothèse, un auteur indépendant doit
tirer le meilleur parti de ses droits : laisser ce livre sur les plates-formes
numériques où il est disponible pour l’exploiter lui-même, accorder des droits
à des éditeurs « poche » étrangers pour d’éventuelles traductions,
encaisser le jackpot si le bouquin séduit Hollywood (faut bien rêver un peu,
non ?), sans avoir à tout partager à 50-50 avec un éditeur traditionnel
qui n’aura peut-être rien fait pour tout ça.
Votre
prochain roman paraît-il bientôt, pouvez-vous déjà nous en parler ?
Il y aura un autre roman, mais plus tard. Bientôt, ce
sera dans le courant d’avril, et je ne sais pas comment décrire ce truc
autrement que par « récit ». Titre : Un printemps sans chien. Moi et mon chien, mort voici un peu plus
d’un an… Moi et mon nouveau chien depuis juillet dernier… Nous et les chiens…
Avec des ex-cursus dans la littérature, notamment chez Rick Bass et Jim Fergus,
dont les expériences avec ces canidés peuvent être très inspirantes à divers
égards. Jim Harrison aussi, qui a dit qu’il « aimait sa chienne comme une
femme » (ce qui ne veut pas dire qu’il prend sa femme pour une chienne…).
Et – inattendu – chez John LeCarré, qui
a dédié un de ses romans à X, « qui m’a prêté un chien ». Fallait-il que ce soit important pour
justifier ces mots publics, qui suggèrent gratitude et reconnaissance. Oui, les
chiens, ça peut être important.
Pour tout savoir sur les dessous, l'origine, et
l'inspiration de "La Légende de Little Eagle"
Visitez le site de Florian Rochat
Consultez la page auteur de Florian Rochat
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