À
quoi ressembleront les derniers instants que nous passerons avec nos
proches, en particulier avec nos parents ? C’est une question à laquelle
il est difficile de répondre quand on ne connaît justement ni le jour
ni l’heure à l’avance. Pierre Béguin essaie pourtant d’apporter une
réponse dans ce roman consacré à l’euthanasie. Car il le peut, puisque
l’action se déroule en Suisse, où cette pratique est autorisée.
Les parents du narrateur décident de
planifier le moment de leur mort, afin d’échapper l’un et l’autre à la
lente déchéance que subit leur corps. Trois semaines avant la date
fatidique, ils informent leur fils de leur volonté de mettre fin à leurs
souffrances. Trois longues semaines durant lesquelles celui-ci apprend à
se familiariser avec cette idée, à l’apprivoiser, à l’accepter.
La veille du suicide médicalement
assisté du couple – par l’intermédiaire d’une association spécialisée –
l’auteur s’enferme dans sa chambre d’enfant, au domicile parental, et
prend la plume. Au cours de la nuit, il commence à rédiger cette
chronique d’une mort annoncée et fait le point sur les relations qu’il
entretient avec ces êtres dont il partage à la fois tant et si peu. Aux
côtés de la mère – aimante, douce, compréhensive –, les choses ont
toujours été plutôt faciles. Aux côtés du père – maraîcher de son état
–, il n’en a pas été de même. De bonne composition avec tout le monde,
il a sans cesse manifesté de l’hostilité envers son fils,
particulièrement quand il a pris au garçon la lubie de suivre des études
littéraires pour devenir un « intellectuel » (on pense inévitablement
au roman La Place d’Annie Ernaux).
Comment, en quelques heures, avant qu’il
ne soit trop tard, rattraper le temps perdu d’une vie ? Comment dire ce
qui n’a jamais été dit ? Comment étreindre celui qui ne s’est jamais
laissé approcher ? Comment donner ce qui n’a pas encore pu l’être ?
Voilà les interrogations légitimes auxquelles chacun serait soumis,
confronté à une telle situation. Mais, pudeur ou réserve, Pierre Béguin
déroute lorsqu’il aborde ces sujets, même si la prose reste
irréprochable et exemplaire de sobriété.
Sans nécessairement tomber dans le
pathos, nous nous serions attendus à plus de sentiments, de chaleur, de
tripes, de partage… d’amour – le gros mot est lâché. Bref, nous nous
serions attendus à plus d’humanité. Au lieu de cela, le narrateur garde
ses distances et parle surtout de lui, de ses regrets, de la culpabilité
qu’il éprouve. On comprend son attitude, mais on peut également se
demander s’il choisit le bon moment pour l’adopter. À montrer aussi peu
de générosité en un tel instant, il risque de perdre l’empathie du
lecteur, ce qui dessert son propos.
Sauf si… Sauf si cette analyse semble
sévère, dans la mesure où elle repose sur un malentendu. Car peut-être
n’aurait-il pas fallu inscrire le mot « roman » sur la couverture du
livre mais le mot « témoignage ». Ainsi l’aurions-nous considéré comme
tel dès le départ et non comme une œuvre de fiction. Alors nous aurions
clairement appelé le narrateur « Pierre Béguin » et non pas « le
narrateur ».
Partons de ce principe. Sous ce nouvel
éclairage, ne voyons pas dans le texte un exercice de style visant à
mettre en valeur une écriture scialytique ; voyons-y simplement une
longue lettre d’adieu tout en retenue. L’au-revoir touchant d’un homme à
ses parents, qui ne lui ont sûrement jamais appris à leur dire « je
vous aime ».
(Article paru dans La Cause littéraire, le 8 avril 2013.)
Vous ne connaîtrez ni le jour ni l'heure, Pierre Béguin, éditions Philippe Rey, 2013, 188 p., 17 €
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