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29 mars 2013

Jennifer Richard : auteur dystopique mais pas pessimiste pour autant



Avec Bleu poussière, Jennifer Richard a été lauréate 2007 de la Résidence Robert Laffont du premier roman consacrée à la littérature fantastique. Elle a publié, en 2010, un deuxième roman intitulé Requiem pour une étoile, toujours dans le fantastique. Puisque nous sommes en 2013 et que cet auteur semble sortir un roman tous les 3 ans, son nouvel opus paraîtra à la fin de l'année. Mais cette fois-ci, Jennifer  Richard change de registre. De toute façon, pour elle, les classements en genres sont réducteurs et l n'existe au fond qu'un seul genre : la littérature.

Peux-tu nous parler de tes deux premiers romans et nous dire dans quelle catégorie les classer ?
En 2006, j’ai participé à un concours organisé par les éditions Robert Laffont sur le thème de l’écriture fantastique. Je me suis donc pliée à l’exercice, alors que ce que j’écrivais jusqu’alors ne relevait absolument pas de ce domaine. J’écrivais des nouvelles très ancrées dans la réalité. Mais, contre toute attente, je me suis beaucoup amusée. Quand on veut dire des choses et quand on aime écrire, peu importe que l’action se situe au Moyen Âge ou dans un futur lointain, on arrive toujours à exprimer ce que l’on veut. D’ailleurs, pour me conformer au thème imposé, j’ai choisi le biais de la science-fiction, et en particulier de la dystopie, qui n’est qu’une façon détournée de parler de la société actuelle en imaginant la façon dont elle pourrait évoluer en fonction des choix effectués.
En reprenant un mauvais rêve que je faisais régulièrement, j’ai imaginé le début de mon roman : un jeune homme rentre chez lui après une soirée arrosée et, sans bien se rendre compte que quelque chose se produit durant la montée de l’ascenseur, se retrouve dans une société différente de celle qu’il connaissait. Chez lui, des inconnus ont remplacé ses parents. Des inconnus ont remplacé tous ses voisins. Dans la rue, l’ordonnancement des bâtiments n’a pas changé de manière flagrante, mais suffisamment pour qu’il perde pied. Le plus étonnant est que tout le monde, tout le temps, sourit. Pour retrouver son foyer, il sera contraint de mener une enquête de longue haleine, d’autant plus périlleuse que le simple fait de manifester son inquiétude risque de le trahir et qu’il occupe, dans cette société étrange, une fonction de premier plan.
Rapidement après en avoir terminé la rédaction, la trame de mon deuxième roman m’est venue en tête, et, sans que je l’aie vraiment décidé, il s’agissait de nouveau de la description d’une dystopie. Cette fois-ci, c’est un documentaire sur Anthelme Mangin, le soldat inconnu de Rodez, qui m’a inspirée : un homme descend du train après un long voyage et une longue absence, sans avoir le moindre souvenir de la vie qu’il menait auparavant. Qui est-il ? Quels rapports entretenait-il avec sa femme et ses fils jumeaux ? Pourquoi les deux garçons semblent-ils tant craindre leur mère ? C’est un roman choral qui donne la parole tour à tour à l’inconnu du train, puis à une jeune femme qu’il a rencontrée lors de son voyage, et enfin à son épouse, qui dénouera toute l’intrigue.
Ces deux romans sont proches par leur thème, mais également par les sentiments exprimés. Il s’agit dans les deux cas de personnages seuls et malades. Ce sont des thrillers psychiatriques, en quelque sorte.

Il semblerait que tu changes de genre pour ton prochain roman à paraître. Que raconte-t-il ?
En effet, alors que j’avais en tête d’écrire une trilogie dystopique et que j’avais entamé un troisième roman dans la veine des deux précédents, j’ai préféré mettre ce projet de côté. Je ne le sentais pas. Comme si les personnages ne voulaient pas me parler. J’ai ensuite écrit un roman à quatre mains avec une amie, exercice qui nous a beaucoup plu, bien que le roman, avec le recul, ne nous semble pas à la hauteur de nos ambitions.
Un autre projet a mûri d’un coup, après cela. Alors que j’observais mon mari dans la rue, et que je remarquais que plusieurs personnes le regardaient, j’ai imaginé l’histoire d’un homme qui, depuis sa naissance, attire sur lui tous les regards, en toute circonstance. Centre d’attention de toute la famille dès ses premiers jours, il est sans cesse prié de chanter, danser pour divertir l’assemblée ; durant sa scolarité, les instituteurs, les professeurs ne voient et n’interrogent que lui, les journalistes réalisant un micro-trottoir l’arrêtent immanquablement dans la rue, on l’accuse injustement d’avoir rayé la portière de la voiture, de ne pas avoir rappelé, on le prend pour le voisin, le cousin, le boulanger, le pharmacien, on le prend pour un homme politique, pour une star de cinéma, un chanteur populaire. Et pour tout le monde, son nom résonne de manière familière, puisqu’il s’appelle Félix Fort.
Mais le jeune Félix ne prend la parole qu’après son grand-père, également nommé Félix Fort, nom qui, sous la IIIRépublique, a une toute autre résonnance. Le vieux Félix, à l’inverse, a souffert toute sa vie de n’être jamais remarqué, vu ni entendu. Il a passé sa vie à faire tapisserie, même au sein de son propre foyer. Cette particularité, qui lui a valu de traverser la boucherie de la Première Guerre mondiale à peu près sain et sauf, l’a également muré dans une solitude à l’origine de moult inventions passées inaperçues.
À travers le destin de ces deux hommes se dessine également une histoire de la France, de 1896 à 2012.
Ce roman, pour lequel mon mari m’a apporté une grande aide, par ses suggestions et ses idées, est celui qui me tient le plus à cœur, car c’est celui dans lequel j’ai pu exprimer la plus grande variété de sentiments, et c’est ce que je recherche, en écrivant, comprendre tous les sentiments, en fonction du point de vue que l’on adopte face à une situation donnée. C’est également un roman moins sombre que les précédents, tout en étant, je pense, plus profond.

Que penses-tu de la pertinence des classements en genre littéraire, en dehors du fait que ça arrange les libraires pour étiqueter leurs rayonnages ?
Je pense que l’avis d’un libraire serait plus pertinent que le mien. Pour ma part, je trouve dommage de classer les romans par genre. Car si on parle de littérature générale, c’est forcément avec une pointe de condescendance que l’on appréhende la littérature de genre. Certains grands classiques parviennent à se glisser dans les rayonnages nobles de la littérature générale, tels bien sûr les écrits fantastiques de Maupassant ou Balzac, l’œuvre de Wells, Huxley, Orwell… mais la plupart du temps, les grands auteurs de littérature fantastique ou policière sont classés à part. Si on ne se montre pas très curieux, on risque ainsi de passer à côté de Lovecraft, Matheson, Azimov pour le fantastique, à côté de Simenon, Chandler, Himes pour le polar…

Quelles sont tes influences, tes références, littéraires aussi bien que musicales, cinématographiques, etc. ?
En matière de littérature, je m’efforce de goûter à tout, pour m’enrichir, pour apprendre. Je suis régulièrement étonnée de la liberté de l’écrivain. Tout est possible, en littérature, on peut écrire sur tout, de toutes les façons. Mais les romans qui m’ont le plus bouleversée sont les récits de guerre, en particuliers les écrits sur 1914-1918, qui ont apporté beaucoup de changements dans la façon d’écrire, avec un style souvent sobre, incisif, sans tabou, sans sensationnalisme, toujours à la première personne, indémodable. Le plus beau, selon moi, et l’un des moins connus est La peur, de Gabriel Chevallier, auteur surtout célèbre pour Clochemerle. J’ai été marquée par les romans de Pierre Schœndoerffer, de Jean Hougron, sur l’Indochine. Par Soljenytsine, Koestler, Kundera, Gheorghiu, Leon Uris, Primo Levi sur les régimes totalitaires. J’ai voyagé à travers le monde avec les romans de Somerset Maugham et Graham Greene. J’ai ri avec Boris Vian, Romain Gary (si, si, certains passages sont très drôles), David Lodge. Je me suis imprégnée de culture créole (ma mère est guadeloupéenne) avec Dany Laferrière, Gisèle Pineau, Simone Schwarz-Bart, Patrick Chamoiseau… Je me nourris de tout ce que je lis, et je suis un peu moins ignorante à chaque livre que je referme. L’écriture est selon moi la plus importante des inventions de l’homme. C’est l’écriture qui marque le début de l’Histoire, c’est l’écriture qui permet la reconnaissance des actions de l’homme, des plus belles aux plus désastreuses.
Je ne suis pas fermée à d’autres formes d’expression. Adolescente, je me voyais réalisatrice, avant de revenir à ma passion première, celle de l’écriture. Le film qui a éveillé ma passion pour le cinéma a été Terminator II, qui demeure mon film culte. Attention, ce n’est pas mon film préféré. Un film culte, c’est différent, c’est une notion empreinte de nostalgie et étrangère à toute critique que la maturité pourrait révéler.  Mes films préférés sont ceux de Terrence Malick. Disons que dans mon top 10 des meilleurs films, il y en a quatre des six qu’il a réalisés à ce jour, avec en tête Le Nouveau Monde. Dans ce palmarès figurent également L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford, There Will Be Blood, Apocalypse Now, Voyage au bout de l’enfer, Les Sentiers de la gloire. Un outsider, aussi, avec Freaks, de Tod Browning.
Quant à la musique… je dois avouer que je ne suis pas une mélomane, au sens commun du terme. Je ne pourrais pas me passer de lire, je pourrais difficilement me passer de films, mais je pense que je pourrais me passer de musique. Je ne dis pas que je n’aime pas la musique, mais je ne me déplace pas avec un baladeur (on dit plutôt MP3, non ?), je ne mets pas la musique à fond pendant que je me prépare pour aller au travail, je ne cours pas après les concerts… à l’exception toutefois des concerts de metal, pratiquement le seul genre qui me fait vibrer (j’aime également la musique classique, mais je ne m’y connais pas suffisamment pour affirmer cela en public). Inutile de citer les groupes que j’écoute car, à part Metallica et System of a Down, leur nom ne dirait rien à personne (Children of Bodom ? Arch Enemy ? In Flames ? Kalmah ?).
Pourtant, c’est toujours (j’ai bien conscience que le mot « toujours » est trop grand pour une « œuvre » pour l’instant aussi courte que la mienne) une musique qui rythme la trame de mes romans. Pour le premier, ce fut Welcome Home (Sanitarium), de Metallica. Pour le deuxième, ce fut Les Dingues et les Paumés de H.-F. Thiéfaine, une des plus belles chansons françaises, selon moi. Pour le troisième, La Foule, chantée par Edith Piaf. Je ne suis pas si fermée, tout compte fait.

De quelle manière travailles-tu, quelles sont tes habitudes, tes petites manies ?
Je ne vis malheureusement pas de mes romans. J’ai bon espoir, cela dit, que cela arrive un jour. Entre-temps, je partage l’année entre le métier qui me fait vivre (je suis documentaliste pour la télévision) et l’écriture. Dans la mesure du possible, je consacre quelques mois dans l’année à mes romans. Alors, j’écris entre six et huit heures par jour, en m’astreignant à des horaires de bureau. La discipline est primordiale. On peut avoir du talent, mais sans discipline, il n’en ressortira rien. Je ne sais pas si j’ai le talent, mais il est certain que j’ai la discipline.

Que penses-tu des auteurs indés et comment vois-tu l’avenir du courant indé en littérature ?
Je vois d’un bon œil la facilité dont vont de plus en plus bénéficier les auteurs indépendants, grâce à l’édition numérique. Ce sera à mon avis bénéfique pour les petits éditeurs, ainsi que pour les auteurs n’ayant pas trouvé d’éditeur. J’espère qu’en matière d’édition Internet remplira l’une de ses ambitions premières, celle de créer un espace infini de libertés. Mais la liberté et la facilité d’expression entraînent malheureusement une cacophonie dont les véritables auteurs devront s’extraire pour être crédibles. Quand tout le monde parle, on n’a plus envie d’écouter personne. Il faut éclairer ceux qui ont vraiment des choses à dire.

Quels sont tes projets ?
J’ai actuellement deux projets de roman en tête. Le premier sur la famille, sujet maintes fois abordé et pourtant fascinant et inépuisable. Je voudrais plus précisément aborder la question du point de vue. Le second serait, mais c’est encore très flou, une fresque familiale qui se déroulerait en Guadeloupe.

Que lis-tu en ce moment ?
Notre-Dame du Nil, de Scholastique Mukasonga. Son écriture, limpide et tranchante, rend compte sans artifice des horreurs subies au Rwanda. Elle a la fêlure et la force de ceux qui ont écrit la guerre.

Pour en connaître davantage sur les œuvres de Jennifer Richard, consultez sa page auteur.

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