Avec Bleu poussière, Jennifer Richard a été lauréate 2007 de la Résidence Robert Laffont du premier roman consacrée à la littérature fantastique. Elle a publié, en 2010, un deuxième roman intitulé Requiem pour une étoile, toujours dans le fantastique. Puisque nous sommes en 2013 et que cet auteur semble sortir un roman tous les 3 ans, son nouvel opus paraîtra à la fin de l'année. Mais cette fois-ci, Jennifer Richard change de registre. De toute façon, pour elle, les classements en genres sont réducteurs et l n'existe au fond qu'un seul genre : la littérature.
Peux-tu nous parler de tes
deux premiers romans et nous dire dans quelle catégorie les classer ?
En 2006, j’ai participé à un concours organisé par les éditions Robert
Laffont sur le thème de l’écriture fantastique. Je me suis donc pliée à
l’exercice, alors que ce que j’écrivais jusqu’alors ne relevait absolument pas
de ce domaine. J’écrivais des nouvelles très ancrées dans la réalité. Mais,
contre toute attente, je me suis beaucoup amusée. Quand on veut dire des choses
et quand on aime écrire, peu importe que l’action se situe au Moyen Âge ou dans
un futur lointain, on arrive toujours à exprimer ce que l’on veut. D’ailleurs,
pour me conformer au thème imposé, j’ai choisi le biais de la science-fiction,
et en particulier de la dystopie, qui n’est qu’une façon détournée de parler de
la société actuelle en imaginant la façon dont elle pourrait évoluer en
fonction des choix effectués.
En reprenant un mauvais rêve que je faisais régulièrement, j’ai imaginé
le début de mon roman : un jeune homme rentre chez lui après une soirée
arrosée et, sans bien se rendre compte que quelque chose se produit durant la
montée de l’ascenseur, se retrouve dans une société différente de celle qu’il
connaissait. Chez lui, des inconnus ont remplacé ses parents. Des inconnus ont
remplacé tous ses voisins. Dans la rue, l’ordonnancement des bâtiments n’a pas
changé de manière flagrante, mais suffisamment pour qu’il perde pied. Le plus
étonnant est que tout le monde, tout le temps, sourit. Pour retrouver son foyer,
il sera contraint de mener une enquête de longue haleine, d’autant plus
périlleuse que le simple fait de manifester son inquiétude risque de le trahir
et qu’il occupe, dans cette société étrange, une fonction de premier plan.
Rapidement après en avoir terminé la rédaction, la trame de mon
deuxième roman m’est venue en tête, et, sans que je l’aie vraiment décidé, il
s’agissait de nouveau de la description d’une dystopie. Cette fois-ci, c’est un
documentaire sur Anthelme Mangin, le soldat inconnu de Rodez, qui m’a
inspirée : un homme descend du train après un long voyage et une longue
absence, sans avoir le moindre souvenir de la vie qu’il menait auparavant. Qui
est-il ? Quels rapports entretenait-il avec sa femme et ses fils
jumeaux ? Pourquoi les deux garçons semblent-ils tant craindre leur
mère ? C’est un roman choral qui donne la parole tour à tour à l’inconnu
du train, puis à une jeune femme qu’il a rencontrée lors de son voyage, et
enfin à son épouse, qui dénouera toute l’intrigue.
Ces deux romans sont proches par leur thème, mais également par les
sentiments exprimés. Il s’agit dans les deux cas de personnages seuls et
malades. Ce sont des thrillers psychiatriques, en quelque sorte.
Il semblerait que tu
changes de genre pour ton prochain roman à paraître. Que raconte-t-il ?
En effet, alors que j’avais en tête d’écrire une trilogie dystopique et
que j’avais entamé un troisième roman dans la veine des deux précédents, j’ai
préféré mettre ce projet de côté. Je ne le sentais pas. Comme si les personnages
ne voulaient pas me parler. J’ai ensuite écrit un roman à quatre mains avec une
amie, exercice qui nous a beaucoup plu, bien que le roman, avec le recul, ne
nous semble pas à la hauteur de nos ambitions.
Un autre projet a mûri d’un coup, après cela. Alors que j’observais mon
mari dans la rue, et que je remarquais que plusieurs personnes le regardaient,
j’ai imaginé l’histoire d’un homme qui, depuis sa naissance, attire sur lui
tous les regards, en toute circonstance. Centre d’attention de toute la famille
dès ses premiers jours, il est sans cesse prié de chanter, danser pour divertir
l’assemblée ; durant sa scolarité, les instituteurs, les professeurs ne
voient et n’interrogent que lui, les journalistes réalisant un micro-trottoir
l’arrêtent immanquablement dans la rue, on l’accuse injustement d’avoir rayé la
portière de la voiture, de ne pas avoir rappelé, on le prend pour le voisin, le
cousin, le boulanger, le pharmacien, on le prend pour un homme politique, pour
une star de cinéma, un chanteur populaire. Et pour tout le monde, son nom
résonne de manière familière, puisqu’il s’appelle Félix Fort.
Mais le jeune Félix ne prend la parole qu’après son grand-père,
également nommé Félix Fort, nom qui, sous la IIIe République, a
une toute autre résonnance. Le vieux Félix, à l’inverse, a souffert toute sa
vie de n’être jamais remarqué, vu ni entendu. Il a passé sa vie à faire
tapisserie, même au sein de son propre foyer. Cette particularité, qui lui a
valu de traverser la boucherie de la Première Guerre mondiale à peu près sain
et sauf, l’a également muré dans une solitude à l’origine de moult inventions
passées inaperçues.
À travers le destin de ces deux hommes se dessine également une
histoire de la France, de 1896 à 2012.
Ce roman, pour lequel mon mari m’a apporté une grande aide, par ses
suggestions et ses idées, est celui qui me tient le plus à cœur, car c’est celui
dans lequel j’ai pu exprimer la plus grande variété de sentiments, et c’est ce
que je recherche, en écrivant, comprendre tous les sentiments, en fonction du
point de vue que l’on adopte face à une situation donnée. C’est également un
roman moins sombre que les précédents, tout en étant, je pense, plus profond.
Que penses-tu de la
pertinence des classements en genre littéraire, en dehors du fait que ça
arrange les libraires pour étiqueter leurs rayonnages ?
Je pense que l’avis d’un libraire serait plus pertinent que le mien.
Pour ma part, je trouve dommage de classer les romans par genre. Car si on
parle de littérature générale, c’est forcément avec une pointe de
condescendance que l’on appréhende la littérature de genre. Certains grands
classiques parviennent à se glisser dans les rayonnages nobles de la
littérature générale, tels bien sûr les écrits fantastiques de Maupassant ou
Balzac, l’œuvre de Wells, Huxley, Orwell… mais la plupart du temps, les grands
auteurs de littérature fantastique ou policière sont classés à part. Si on ne
se montre pas très curieux, on risque ainsi de passer à côté de Lovecraft,
Matheson, Azimov pour le fantastique, à côté de Simenon, Chandler, Himes pour
le polar…
Quelles sont tes
influences, tes références, littéraires aussi bien que musicales,
cinématographiques, etc. ?
En matière de littérature, je m’efforce de goûter à tout, pour
m’enrichir, pour apprendre. Je suis régulièrement étonnée de la liberté de
l’écrivain. Tout est possible, en littérature, on peut écrire sur tout, de
toutes les façons. Mais les romans qui m’ont le plus bouleversée sont les
récits de guerre, en particuliers les écrits sur 1914-1918, qui ont apporté
beaucoup de changements dans la façon d’écrire, avec un style souvent sobre,
incisif, sans tabou, sans sensationnalisme, toujours à la première personne,
indémodable. Le plus beau, selon moi, et l’un des moins connus est La peur, de Gabriel Chevallier, auteur
surtout célèbre pour Clochemerle.
J’ai été marquée par les romans de Pierre Schœndoerffer, de Jean Hougron, sur
l’Indochine. Par Soljenytsine, Koestler, Kundera, Gheorghiu, Leon Uris, Primo
Levi sur les régimes totalitaires. J’ai voyagé à travers le monde avec les
romans de Somerset Maugham et Graham Greene. J’ai ri avec Boris Vian, Romain
Gary (si, si, certains passages sont très drôles), David Lodge. Je me suis
imprégnée de culture créole (ma mère est guadeloupéenne) avec Dany Laferrière,
Gisèle Pineau, Simone Schwarz-Bart, Patrick Chamoiseau… Je me nourris de tout
ce que je lis, et je suis un peu moins ignorante à chaque livre que je referme.
L’écriture est selon moi la plus importante des inventions de l’homme. C’est
l’écriture qui marque le début de l’Histoire, c’est l’écriture qui permet la reconnaissance
des actions de l’homme, des plus belles aux plus désastreuses.
Je ne suis pas fermée à d’autres formes d’expression. Adolescente, je
me voyais réalisatrice, avant de revenir à ma passion première, celle de
l’écriture. Le film qui a éveillé ma passion pour le cinéma a été Terminator II, qui demeure mon film culte.
Attention, ce n’est pas mon film préféré. Un film culte, c’est différent, c’est
une notion empreinte de nostalgie et étrangère à toute critique que la maturité
pourrait révéler. Mes films préférés
sont ceux de Terrence Malick. Disons que dans mon top 10 des meilleurs films,
il y en a quatre des six qu’il a réalisés à ce jour, avec en tête Le Nouveau Monde. Dans ce palmarès figurent
également L’Assassinat de Jesse James par
le lâche Robert Ford, There Will Be Blood,
Apocalypse Now, Voyage au bout de l’enfer, Les
Sentiers de la gloire. Un outsider, aussi, avec Freaks, de Tod Browning.
Quant à la musique… je dois avouer que je ne suis pas une mélomane, au
sens commun du terme. Je ne pourrais pas me passer de lire, je pourrais
difficilement me passer de films, mais je pense que je pourrais me passer de
musique. Je ne dis pas que je n’aime pas la musique, mais je ne me déplace pas avec
un baladeur (on dit plutôt MP3, non ?), je ne mets pas la musique à fond
pendant que je me prépare pour aller au travail, je ne cours pas après les
concerts… à l’exception toutefois des concerts de metal, pratiquement le seul
genre qui me fait vibrer (j’aime également la musique classique, mais je ne m’y
connais pas suffisamment pour affirmer cela en public). Inutile de citer les
groupes que j’écoute car, à part Metallica et System of a Down, leur nom ne
dirait rien à personne (Children of Bodom ? Arch Enemy ? In
Flames ? Kalmah ?).
Pourtant, c’est toujours (j’ai bien conscience que le mot
« toujours » est trop grand pour une « œuvre » pour
l’instant aussi courte que la mienne) une musique qui rythme la trame de mes
romans. Pour le premier, ce fut Welcome
Home (Sanitarium), de Metallica. Pour le deuxième, ce fut Les Dingues et les Paumés de H.-F.
Thiéfaine, une des plus belles chansons françaises, selon moi. Pour le
troisième, La Foule, chantée par
Edith Piaf. Je ne suis pas si fermée, tout compte fait.
De quelle manière
travailles-tu, quelles sont tes habitudes, tes petites manies ?
Je ne vis malheureusement pas de mes romans. J’ai bon espoir, cela dit,
que cela arrive un jour. Entre-temps, je partage l’année entre le métier qui me
fait vivre (je suis documentaliste pour la télévision) et l’écriture. Dans la
mesure du possible, je consacre quelques mois dans l’année à mes romans. Alors,
j’écris entre six et huit heures par jour, en m’astreignant à des horaires de
bureau. La discipline est primordiale. On peut avoir du talent, mais sans
discipline, il n’en ressortira rien. Je ne sais pas si j’ai le talent, mais il
est certain que j’ai la discipline.
Que penses-tu des auteurs
indés et comment vois-tu l’avenir du courant indé en littérature ?
Je vois d’un bon œil la facilité dont vont de plus en plus bénéficier
les auteurs indépendants, grâce à l’édition numérique. Ce sera à mon avis
bénéfique pour les petits éditeurs, ainsi que pour les auteurs n’ayant pas
trouvé d’éditeur. J’espère qu’en matière d’édition Internet remplira l’une de
ses ambitions premières, celle de créer un espace infini de libertés. Mais la
liberté et la facilité d’expression entraînent malheureusement une cacophonie
dont les véritables auteurs devront s’extraire pour être crédibles. Quand tout
le monde parle, on n’a plus envie d’écouter personne. Il faut éclairer ceux qui
ont vraiment des choses à dire.
Quels sont tes
projets ?
J’ai actuellement deux projets de roman en tête. Le premier sur la
famille, sujet maintes fois abordé et pourtant fascinant et inépuisable. Je
voudrais plus précisément aborder la question du point de vue. Le second serait,
mais c’est encore très flou, une fresque familiale qui se déroulerait en
Guadeloupe.
Que lis-tu en ce
moment ?
Notre-Dame du Nil, de Scholastique Mukasonga. Son écriture, limpide et tranchante, rend
compte sans artifice des horreurs subies au Rwanda. Elle a la fêlure et la
force de ceux qui ont écrit la guerre.
Pour en connaître davantage sur les œuvres de Jennifer Richard, consultez sa page auteur.
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