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6 avril 2015

Retour sur le Salon du livre 2015 [2] : et si on s'intéressait aux auteurs ?




Le contrat d'auteur : une proposition qu'on ne peut pas refuser ?
Cette année, au Salon du livre, j'ai eu la chance et le plaisir d'intervenir à deux tables rondes très intéressantes qui avaient pour sujet la place de l'auteur dans l'univers de l'édition. La première était organisée par la  Société des gens de lettres et avait pour titre « Autoédition pour quoi faire ? » ; la seconde, organisée par le Salon du livre, s'intitulait « Les auteurs écrivent l'avenir du livre ».
Ces débats ont permis, dans un premier temps, de dresser un états des lieux. Et de montrer à quel point la situation des auteurs n'était pas toujours des plus brillantes.
À commencer par les contrats :
- cession des droits d'auteur jusqu'à 70 ans après la mort de l'auteur ;
- pourcentage compris entre 5 et 8 % du prix hors taxe du livre, ce qui laisse royalement à l'auteur environ 1,50 € en poche par livre vendu ;
- pourcentages identiques sur le livre électronique (ce qui laisse encore moins à l'auteur), dont le prix hors taxe est inférieur à celui du papier et dont les coûts de fabrication et de gestion sont moindres ;
- à-valoir en forte baisse, voire à « rembourser » sur les livres futurs, si les ventes du précédent n'ont pas suffi à les couvrir ;
- paiement et reddition des comptes une fois par an ;
- cession des droits d'adaptation audiovisuelle dans des proportions pas toujours équitables.
Avec de tels contrats, le créateur de l'oeuvre – c'est-à-dire celui qui fait fonctionner le système – est donc celui qui est le moins payé, et de très loin. Il faut bien reconnaître que la signature d'un contrat d'auteur ressemble parfois à une proposition qu'on ne peut pas refuser.

Les contrats d'auteurs au centre de nombreux débats au Salon du livre de Paris 2015.
Ils apparaissent souvent comme des propositions qu'on ne peut pas refuser.

Être publié : une faveur que l'éditeur accorde à l'auteur
Par ailleurs, tous les auteurs ne sont pas traités de la même manière au sein d'une même maison d'édition, ce qui ajoute à la fragilisation et à la situation de précarité du plus grand nombre. D'un côté, il y a les stars, et c'est tant mieux, car ça génère des ventes qui font rentrer de l'argent dans les caisses. De l'autre, il y a les auteurs lambda, qui représentent 99,99 % des auteurs.
Puisque les auteurs stars vendent beaucoup, ils ont des a-valoir et des pourcentages en conséquence – voire des agents qui les négocient pour eux – ainsi qu'une promotion XXL (télé, radio, presse écrite, 4x3 dans le métro, etc.). Tout ça est normal, pas de problème, il est essentiel que l'industrie du livre vende des livres.
Puisque les auteurs lambda ne vendent pas beaucoup, ils ont des contrats dont les conditions ont été précisées plus haut et zéro promotion. C'est là que le bât blesse. Car à ce régime, il leur est quasi impossible d'accroître leur visibilité. On pourrait penser qu'une partie de l'argent généré par les auteurs stars servirait à la promotion d'auteurs méconnus pour leur permettre à eux aussi de rencontrer leur lectorat. Eh bien non. La promotion, pour les lambda, se borne bien souvent à l'envoi de services de presse par l'attaché de presse aux journalistes et chroniqueurs. Services de presse qu'on retrouve en grande partie dès le lendemain en vente sur eBay ou sur la marketplace d'Amazon. Et l'on répond toujours la même chose aux lambda : les journalistes ne s'intéressent qu'aux people, il est impossible pour un auteur inconnu de décrocher une télé, une radio ou un journal de la presse nationale. Idem chez les libraires, qui ne gardent les livres en rayonnage que deux semaines quand ils ne se vendent pas, qui privilégient donc les stars, les best-sellers et les grandes maisons d'édition.
Alors pour quelle raison la plupart des lambda rêvent-ils encore d'être publiés ? Parce qu'ils veulent exister en tant qu'auteurs et que, dans l'esprit des lecteurs, des journalistes, des critiques, des chroniqueurs, un auteur, c'est celui qui appartient à une grande maison d'édition. Oui, j'ai bien dit « appartient ». Il existe bel et bien, encore trop souvent, un rapport de féodalité entre un éditeur et un auteur. N'oublions pas qu'une récente ministre de la Culture a clamé haut et fort que c'était l'éditeur qui faisait la littérature, vous voyez d'où on part.
Bref, ce rapport penche exceptionnellement en faveur de l'auteur, lorsqu'il est star, et presque toujours en sa défaveur, lorsqu'il est lambda.
L'édition française, encore trop souvent : l'auteur prête allégeance à l'éditeur, qui lui accorde la faveur de le publier.


Quelles solutions pour la survie de l'auteur ?
Un tel déséquilibre dans les rapports entre éditeurs et auteurs place ces derniers dans une position intenable, celle de l'éternel perdant. Combien d'auteurs se sont vu « virés » de leurs maisons d'édition parce que leur ventes ne couvraient même pas les a-valoir qu'ils avaient perçus et qu'on leur reprochait donc implicitement d'avoir fait perdre de l'argent à la maison ? Pour achever définitivement un écrivain qui doute déjà suffisamment de lui, il n'y a pas mieux que ce procédé d'une violence extrême.
Il n'existe pas de statut d'intermittent pour les auteurs, la quasi totalité d'entre eux exercent un métier à côté pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille. Pourtant, il s'accrochent désespérément à l'écriture, car c'est elle qui les nourrit intellectuellement.
Alors de quelle manière peuvent-ils prendre leur avenir en main ? De quelle manière peuvent-ils faire valoir leurs droits et entendre leur voix ? Cette question a été largement débattue, au cours des deux tables rondes dont je rends compte ici.
Une première initiative consiste à se fédérer. L'union fait la force, dit-on. En ce sens, nous avons assisté à une première, au Salon du livre de Paris, avec la marche des auteurs, qui ont exprimé leurs craintes et alerté sur la précarité de leur situation. J'espère qu'il s'agit là de l'aube d'une ère nouvelle. L'isolement et peut-être aussi l'égoïsme et la paresse ont coûté très cher aux auteurs, jusqu'à présent. Il n'y a qu'à voir de quelle manière la guilde des scénaristes, très organisée et très soudée, a mis Hollywood à genoux, il n'y a pas si longtemps. Sans créateurs, pas de création, c'est aussi simple que ça.

D'autre part, de nouvelles maisons d'édition émergent, avec à leur tête des éditeurs qui portent une nouvelle vision sur le métier et qui replacent véritablement l'auteur et le lecteur au centre de l'univers du livre. Les auteurs auraient sûrement intérêt à prendre contact avec ces éditeurs nouvelle génération.
Je vais prêcher pour ma paroisse et parler de La Bourdonnaye, chez qui je suis directeur éditorial, mais je peux également citer e-fractions (dirigée par Franck-Olivier Lafferère), qui se situe dans la même mouvance.
Chez La Bourdonnaye, les auteurs perçoivent 25 % du prix hors taxe du prix du livre électronique et 15 % du prix hors taxe du livre papier. Et ce, dès le premier livre vendu. Les auteurs sont payés   et reçoivent leur reddition de comptes tous les trimestres. Et ils ne cèdent leurs droits que pour 10 ans. Nous n'avons pas encore les moyens de leur verser des à-valoir, mais ça ne saurait tarder. Et cette absence d'à-valoir est compensée par les versements trimestriels de leurs droits. Nous pratiquons également une véritable politique de promotion du livre numérique, avec un prix usuel de 6,99 €. Pour le prix d'un poche, les lecteurs peuvent ainsi lire sur tous les supports à leur disposition aux différents moment de la  journée : liseuse, smartphone, tablette, ordinateur. Et grâce à ces prix incitatifs pour les lecteurs, les auteurs ont donc la possibilité de toucher leur public.
Enfin, nous axons notre communication directement auprès des prescripteurs que sont les blogueurs, les Web chroniqueurs et les lecteurs ; les principaux intéressés, en somme. C'est probablement plus long qui si nous obtenions une télé pour chacun de nos auteurs, mais c'est plus durable et plus solide, puisque ce sont les lecteurs qui choisissent eux-mêmes.

L'autopublication peut parfois être un grand bol d'air pour certains auteurs. 
Le numérique nous a inévitablement conduits à évoquer l'autopublication, autour des deux tables rondes. Je précise immédiatement que je ne me pose ni en prosélyte ni en chantre de l'autopublicaion, et que je n'oppose pas ce mode d'édition à l'édition traditionnelle. Les deux peuvent avoir du bon et du mauvais. Je n'oppose pas non plus le livre électronique au livre papier.
Il est simplement ressorti des débats que l'autopublication, via le numérique (c'est également possible en papier, mais l'absence de diffusion en librairie est un gros frein), peut apporter une solution intéressante à bon nombres d'auteurs :
- ceux qui ne trouvent pas d'éditeur mais qui veulent trouver leur lectorat malgré tout (il arrive d'ailleurs que certains d'entre eux, qui connaissent des succès, se fassent ensuite contacter par des éditeurs) ;
- ceux qui ne veulent pas passer par l'édition traditionnelle ;
- ceux qui ont des contrats d'édition pour le papier mais qui n'ont pas d'avenants pour le numérique et qui veulent exploiter leurs œuvres sous  ce format.

On pourrait même envisager un mix pour certains auteurs qui auraient un éditeur pour le papier mais qui conserveraient leurs droits numériques et qui les exploiteraient seuls. Dans la mesure où si peu d'éditeurs, pour l'instant, ont réellement l'intention de  promouvoir le numérique, pourquoi priver les auteurs d'une telle opportunité d'augmenter leurs revenus ?
Les moyens d'être davantage maîtres de leur parcours pour les écrivains, ou de rééquilibrer le rapport de force avec les éditeurs, ne sont donc pas nuls, mais ils exigent un effort de regroupement, d'unification et une volonté de se prendre en charge qui font probablement encore défaut dans nos rangs, à l'heure où j'écris ces lignes.
Il me semble néanmoins que les lignes bougent et que, de plus en plus, nous prenons conscience que :



  

5 commentaires:

  1. Très bel article qui souffle sur le brouillard épais qui entoure le monde de l'édition au sens général du terme. On peut y lire en filigrane quelques changements, qui j'espère seront durables.

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  2. Merci Wendall, j'espère également que des améliorations pour les auteurs sont possibles. Nous somme vraiment les grands lésés d'une industrie que nous nourrissons.

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  3. Bravo pour cet article, Laurent, vous avez su aborder avec justesse chaque point du sujet. Je n'aurais jamais cru que je passerais un jour en auto-publié, mais les gens comme vous ou Vandroux savent donner confiance aux auteurs et leur montrer que l'important, c'est d'être lu. Les petites maisons d'édition traditionnelles sont parfois pleines de volonté, mais par manque de moyens, elles ne peuvent guère promouvoir les auteurs, alors parfois, c'est triste à dire, mais on est mieux loti seul. Heureusement que de nouvelles voient le jour, avec une conscience plus aiguisée du besoin de l'auteur d'être, à défaut de reconnu, au moins traité équitablement, et tant pis si ça doit passer par le numérique. Nous sommes tous, en tant qu'auteur, amoureux du livre papier, mais malheureusement pour s'en sortir, on doit prendre en considération les besoins de notre temps. Le conseil que j'ai à donner aux auteurs, c'est de prendre du plaisir à ce qu'ils font. Ecrire, c'est déjà tellement difficile, si en plus ils se sentent meurtris par l'emprise ou le mépris exercés par certaines maisons d'édition, il ne faut pas qu'ils hésitent à prendre une autre direction, même si, à première vue, c'est moins "glorieux" (ce qui est d'ailleurs une fausse idée que certains éditeurs espèrent faire perdurer...). Encore merci pour cet article.

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  4. Bonjour Laurent,

    Vous réalisez là un état des lieux à la fois remarquable et désolant de la condition d'auteur. Tel est, hélas, le triste lot de ceux qui rêvent d'écrire plutôt que d'exploiter leur prochain ou de réparer des canalisations de salles de bain.

    La politique de La Bourdonnaye laisse rêveur, mais il ne faut pas oublier un aspect méconnu du monde de l'édition : le verrouillage de la distribution. Les grandes groupes d'édition possèdent leur propre société de diffusion-distribution, qui conditionne leur accès aux précieuses tables des libraires. Un petit éditeur est généralement contraint de passer, soit par un distributeur de grand groupe, qui disposera sur lui d'un pouvoir considérable, soit par un distributeur indépendant, moins efficace pour inonder les librairies. Ce qui signifie que la loi des grands éditeurs s'applique également à leurs petits confrères. En somme, tout se résume à un contrôle des flux, où ceux qui détiennent les tuyaux imposent leurs règles à ceux qui ne font que les louer.

    Vous décrivez parfaitement la prison dans laquelle les auteurs sont enfermés, et vous montrez que l'auto-édition n'est pas une panacée, tout en énonçant ses possibles avantages. Les auto-éditeurs sont des auteurs qui ont décidé de passer par un autre canal de distribution, plus équitable, où ils peuvent se passer de ces intermédiaires souvent peu équitables que sont les éditeurs. Cette décision les contraint à apprendre les métiers de l'édition et à s'entourer de divers professionnels. Cette démarche peut ne pas être à la portée de tous les auteurs, mais il me semble que personne ne peut échapper aujourd'hui à la nécessité d'assurer la promotion de ses propres livres. L'émancipation est à ce prix ; il ne nous est plus possible de « nous consacrer totalement à notre art » C'est la raison pour laquelle les « amphibies » (édités et auto-édités) tels que vous sont le plus à même de devenir des partenaires efficaces de leur maison d'édition.

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  5. Gipsy, Guy,
    Je vous prie de m'excuser de publier vos commentaires aussi tardivement, mais je viens seulement de les voir dans la corbeille de ma boîte mail, où ils ont directement été placés… Je vais vérifier mes paramètres pour corriger le tir.
    Pour les petites maisons d'édition, la diffusion tend de moins en moins à devenir un problème, car il existe heureusement d'autres moyens que la diffusion classique. Je crois que l'avenir est à la communication digitale, car elle touche directement les principaux intéressés que sont les blogueurs, les booktubeurs, les chroniqueurs et les lecteurs. Ce mode de communication, s'il porte ses fruits plus lentement qu'un passage télé, une diffusion radio ou des articles dans la presse nationale, est plus stable et plus durable. Ensuite, il faut juste que vos livres papier soient référencés chez Dilicom, ce qui ne pose aucun problème, et les libraires peuvent les commander aisément. En outre, le fait que ce soient les lecteurs qui commandent à leurs libraires des livres qu'eux-mêmes ne connaissent pas leur envoie un message très fort et leur montre que la littérature peut se passer ailleurs que dans les salons feutrés de l'autoproclamée "grande" édition".
    Une communication digitale n'empêche pas de recourir à une diffusion classique, il faut faire feu de tout bois !

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